Savoir se laisser dériver

Plonger à corps perdu dans un film, c'est décider de se laisser emporter par les vagues de la mise en scène et ainsi y déceler ses meilleurs attributs, ses meilleures idées, parfois noyées dans une mascarade aux airs simplistes. C'est le cas de The Swimmer.
Le Nouvel Hollywood, arrivant à son effervescence dans son style de narration détonnant et dans son éclat de choc avec la petite bourgeoisie américaine, permet aux cinéastes de l'époque de se retrouver devant de projets plus intimistes. Sydney Pollack et Frank Perry mettent ainsi en scène le voyage incongru d'un petit bourgeois américain défiant les préjugés de sa société. Car même si la volonté du protagoniste n'est pas de changer les mœurs, sa destination lointaine permettra d'inclure à son évolution les marques d'un consumérisme bourgeois ancré dans la terre américaine.

Avant tout Le Plongeon est un parcours émotionnel, une histoire vibrante vécue au travers d'un homme qui un matin prend une décision hors des sentiers battus de la société bourgeoise qu'il connaît si bien. Il souhaite rentrer chez lui, à pied, à la nage, en plongeant dans chaque piscine qui se mettra en travers de son chemin. Pourquoi ? Par plaisir. Et puis, pourquoi pas ? Ce trajet initiatique, comme la remontée d'un fleuve de piscines, de souvenirs et d'émotions est pour Ned Merrill le début d'une route qui se révélera douloureuse, par sa force à éveiller la déchirure qui est née entre lui et le monde tel qu'il le connaissait.
Rappelant au spectateur, à la fois l'idée source d'Apocalypse Now (la remontée du fleuve comme parabole de la démence intrinsèque au protagoniste) et la douce mélancolie tranchante du Lauréat, flottant dans sa hantise du futur; Le Plongeon est une oeuvre parlante, qui met en éveil les sens du spectateur impatient de comprendre le pourquoi du comment. Ned Merrill est-il un homme simple d'esprit ? Que cache donc cette décision qui lui fait parcourir tant d'embûches ?

Tel un animal traversant son domaine, Ned ne peut s'empêcher d'observer, d'essayer de comprendre le danger potentiel qui l'entoure de toute part, comme pris au piège par cette société. Nageant dans son mensonge, bercé d'illusions, il recherche la compagnie, l'amour de ce qu'il manque, de ce qu'il a manqué. Certes, il connaît le chemin des longs kilomètres à parcourir pour revenir jusque chez lui, mais il est le symbole de la perdition, même s'il ne le comprend pas bien encore. Ce parcours en lui-même reflète aisément les aspérités d'un monde ego-centré, éloigné de la nature qui l'entoure de toute part, au milieu de son bonheur paraît ainsi la tristesse d'une société dissonante, voulant rayonner de joie mais ne criant que le chagrin.

Ode à la vie, au moment présent et au plaisir du vécu, oeuvre trop injustement méconnue, Le Plongeon est une apnée sous les vices bourgeois, on y détruit l'émotion pour mieux y concentrer la pulsion, quelques bouffées d'air pour un grand gaillard étouffé, aveuglé par la lumière qui se réfléchit sur l'eau transparente, sourd aux demandes des autres, il ne peut les entendre puisqu'il ne s'entend pas lui-même. Repoussé par ce qu'il connaît, naviguant vers l'inconnu, le soleil le réchauffe malgré que guettent les nuages, il lui reste quelques mètres de brasses, pour finalement arriver chez lui, ou quelque soit sa place.