Pourquoi Ned Merrill, ce quinquagénaire petit bourgeois du Connecticut, décide de rentrer chez lui à la nage, de piscine en piscine, à travers les luxueuses propriétés de ses amis voisins ?


Derrière un pitch aussi étrange qu'improbable se cache en réalité un des films précurseurs du Nouvel Hollywood. Le récit dépeint déjà le grand paradoxe américain que l'on retrouvera quelques années plus tard dans le cinéma américain, symbolisé ici par la confrontation entre ces bourgeois des beaux quartiers qui vivent de leurs réussites, dans un microcosme dénué de toute humanité, et le personnage principal de Ned Merrill qui, bien que congénère à ses voisins, semble vouloir fuir ce modèle à travers cet étrange et original pèlerinage qu'il envisage d'accomplir. Mais au bout du compte, est-ce vraiment ce que Ned cherche à fuir ?


Au fur et à mesure de ses rencontres, son entreprise se transforme en quête existencielle, le ciel s'assombrit et le portrait dressé de Ned se nuance aux yeux du spectateur. Tout au long du film, Frank Perry (en délicatesse avec son producteur Sam Spiegel pendant le tournage - remplacé au pied levé par Sydney Pollack pour le tournage de la séquence avec Janice Rule) use de subtiles métaphores et d'idées de mise en scène parfois déroutantes pour rendre compte de l'état d'esprit tourmenté du personnage principal, dans un déni profond. Le romantisme exacerbé du début fait place à un chemin de croix bien plus trouble, à une réalité plus sombre.


Le choix de Burt Lancaster pour interpréter le personnage principal est une idée brillante, lui qui la cinquantaine révolue symbolise à la fois les grands succès du cinéma classique "d'avant" et la réussite de l'American Way of Life. Malgré son âge avancé, il possède encore ce charisme naturel et ce corps d'athlète qu'on lui connait (le maillot de bain n'est pas sans rappeler celui qu'il porte 15 ans plus tôt dans le Tant qu'il y aura des hommes de Fred Zinnemann) et que le film ne va cesser de malmener, en le montrant d'abord comme un dieu grec dans son maillot de bain serré puis en l'accablant lentement par le froid, la fatigue et l'inévitable poids des années.


Il serait regrettable d'évoquer ce chef d'oeuvre sans rendre hommage au très beau travail du compositeur Marvin Hamlisch qui, âgé alors de seulement 24 ans, réussit à retranscrire à merveille les différentes étapes du récit, des effets de mises en scène aux changements de tons du film, du lyrisme outrancier à la plus profonde mélancolie. Hamlisch signe ici sa première création pour le cinéma avant de travailler notamment sur Nos plus belles années (1973, Sydney Pollack) et L'Arnaque (1973, George Roy Hill) qui lui vaudront pas moins de trois Oscars.


Le Plongeon est en somme un chef d'oeuvre bouleversant, d'une richesse et d'une profondeur rares. L'originalité de son écriture et la radicalité de sa mise en scène en font une véritable curiosité, en marge des carcans habituels de sa décennie. II ouvre grand les portes d'un Nouvel Hollywood qui explosera quelques années plus tard.

Fuser
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films des années 1960 et Films vus en 2021

Créée

le 13 oct. 2021

Critique lue 147 fois

5 j'aime

2 commentaires

Fuser

Écrit par

Critique lue 147 fois

5
2

D'autres avis sur Le Plongeon

Le Plongeon
Pruneau
8

A chlore perdu

Burt, 55 ans et bâti comme un demi-dieu grec, se balade en slip de bain moulant pendant tout le film (attention les filles, à un moment il l'enlève) . Et oui, un jour il a la fulgurante idée de...

le 27 nov. 2010

96 j'aime

18

Le Plongeon
Torpenn
7

Aqua bond

The Swimmer est un film de 1968 qui en marque bien toutes les caractéristiques et qui ne sortira pourtant pas avant 2010 sur nos écrans, allez savoir pourquoi... Le point de départ est relativement...

le 17 mai 2012

49 j'aime

17

Le Plongeon
Kowalski
9

Mitch Buchannon

Ceci n'est pas véritablement une critique, je n'aurais pas les mots exacts pour rendre hommage à ce film. Qu'est-ce que Le Plongeon? Tout d'abord nous mettons les pieds dans la bourgeoisie...

le 26 juin 2013

31 j'aime

24

Du même critique

Le Plongeon
Fuser
9

La plongée

Pourquoi Ned Merrill, ce quinquagénaire petit bourgeois du Connecticut, décide de rentrer chez lui à la nage, de piscine en piscine, à travers les luxueuses propriétés de ses amis voisins ? Derrière...

le 13 oct. 2021

5 j'aime

2

Age of Empires II HD
Fuser
7

Même ma grand-mère peut faire mieux

Ah... Age of Empires II... Ce nom résonne comme le doux écho d'un tendre souvenir d'enfance. Qui n'a jamais ne serait-ce qu'entendu parler de ce jeu mythique, sorti en 1999, qui a bercé toute une...

le 17 oct. 2017

2 j'aime

1

eRepublik
Fuser
7

Si vis pacem, para bellum

Cette célèbre locution latine résume à merveille eRepublik, MMO gratuit jouable par navigateur. Véritable simulation de vie, ce jeu peut se définir comme un croisement entre un Second Life et un...

le 20 janv. 2015

2 j'aime

1