Inutile de présenter Steven Spielberg, entré dans l’inconscient collectif comme étant l’un des plus grands cinéastes de tous les temps aux côtés des Kubrick, Scorsese et autre Hitchcock, la légende vivante ne cesse de nous surprendre, en bien plus qu’en mal, ne laissant en tout cas jamais indifférent.
Ainsi, l’inventeur du blockbuster moderne s’écarte depuis quelques années des toutes grosses productions, bien conscient qu’il a sans le vouloir ouvert la boîte de Pandore, voyant fleurir sur nos écrans des œuvres de moins en moins scénarisées et de plus en plus superficielles qui, de toute façon, n’empêchent personne de se ruer en salles obscures.
Spielberg était loin d’imaginer que la formule magique qu’il inventa en 1975 deviendrait petit à petit un simple prétexte mercantile, sans âme et originalité; il est l’un des rares cinéastes hollywoodiens de cette ère à prendre conscience de l’agonie du Cinéma grand public et à tenter un retour (temporaire en tout cas*) au film d’auteur intimiste pour se relancer.


Ainsi, après un joli Cheval de Guerre et un soporifique Lincoln, le maître tente à nouveau le coup de l’œuvre historique et pas n’importe laquelle, puisque Le Pont des Espions prend racine en pleine Guerre Froide, l’un des épisodes les plus tendus qu’ait connu l'humanité au cours du siècle dernier.


Tom Hanks y incarne James Donovan, modeste avocat en assurances et travailleur acharné qui se retrouve parachuté dans une histoire d’une ampleur bien plus large que ses propres épaules. En effet, ce qui ne devait être au départ que la « simple » défense d’un espion soviétique sur le sol américain prend la tournure d’un échange aux enjeux d’une importance critique lorsqu’un espion américain est capturé en URSS. Une formalité confiée à Donovan pour expédier une sentence connue d’avance se transforme alors en un immense terrain miné où le moindre faux pas diplomatique pourrait conduire à la 3ème Guerre Mondiale.


Autant le dire d’emblée, Le Pont des Espions n’est pas un film tout public, il faut apprécier l’Histoire et ne pas se nourrir que de pop-corn movies pour se délecter du spectacle qui s’offre à nos yeux.
Certes, le film est bavard et sa première heure rappelle le douloureux souvenir du poussiéreux et académique Lincoln, mais l’odeur de naphtaline qui commence à envahir la salle est heureusement réduite à néant par les multiples talents qui s’imposent à l’écran.


Talent d’écriture d’abord, puisque les scénaristes ont réussi à insuffler à ce film très dense une dynamique du verbe assez impressionnante de précision et parsemée de touches d’humour très légères qui en font un modèle du genre.


Talent d'acting ensuite, car une nouvelle fois Tom Hanks est impérial, le bougre vieillit mais son charisme ne fléchit pas, il demeure l’une des figures les plus attachantes du cinéma hollywoodien et fait donc office de choix parfait pour camper cet avocat aux grandes valeurs éthiques et familiales, au cœur pur comme tout héros « Spielbergien » qui sait être brave sans être lisse, un équilibre pourtant très délicat que seuls les plus talentueux savent atteindre.
Mais Hanks n’est pas seul et la belle surprise du Pont des Espions est sans conteste Mark Rylance, lui qui incarne Rudolf Abel, l’espion soviétique au calme imperturbable, il est le personnage le moins loquace du film qui soulève cependant les questions les plus intéressantes et pertinentes de l'oeuvre tant son sort nous tiraille comme il tourmente James Donovan. Cet homme de l’Est possède des droits comme tout un chacun et l'avocat entend bien les faire respecter, dévoilant malgré lui les aspects les moins reluisants de la justice américaine.


Talent de mise en scène finalement, cette fois par le biais de plans relativement sobres mais efficaces, le réalisateur compte sur l'éclairage unique de son directeur photos Janusz Kaminski et l’impressionnante reconstitution des décors (il faut voir ce Berlin des 60’s !) pour nous en mettre plein la vue, distillant évidemment quelques plans forts qui resteront imprimés sur nos rétines pour un bon bout de temps encore.


Pourtant, le film ne se hissera pas au niveau des meilleurs opus de son cinéaste, la faute à un second acte peu rythmé, trop « bureaucrate », qui plombe une œuvre qui trouve enfin son second souffle dès l’arrivée à Berlin.
On incriminera également la bande-originale peu inspirée ; Thomas Newman remplace John Williams (parti cachetonner sur Star Wars) au pied levé et livre un travail insipide, peu mémorable, pour ne pas dire fainéant. Aucun thème musical n’émergera du long-métrage et on n’échappe pas au cliché des chorales russes une fois la bannière rouge présente à l’écran. Regrettable.


En bref, Le Pont des Espions aurait sans doute gagné à durer 15 à 20 minutes de moins afin de soulager le spectateur venu au cinéma pour se divertir. Pour autant, l’œuvre est remarquable de maîtrise et nous rappelle que toutes les batailles ne se gagnent pas l’arme à la main, que des guerres peuvent être évitées au prix d’âpres négociations et d’un combat permanent pour ce qui est juste, en laissant l’égo, les croyances et les considérations bureaucratiques de côté.
l'Humanité peut triompher et cet optimisme est bienvenu par les temps qui courent, même si le happy ending total n’est- heureusement et fort logiquement- pas de mise au vu du contexte Berlinois de l'époque.
Loin d'Agents Très Spéciaux qui montrait la Guerre Froide sous un jour fun et grandiloquent, Le Pont des Espions est une belle leçon de petite Histoire dans la grande comme sait si bien les raconter Mr Spielberg.


Note : 7,5/10


*(en témoigne la bande-annonce de son prochain long-métrage, Le Bon Gros Géant)


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christophe1986
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le 27 déc. 2015

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