Dorian Gray
5.2
Dorian Gray

Film de Oliver Parker (2010)

Avec Le Portrait de Dorian Gray, la question est toujours la même, peut on faire un bon film qui soit en même temps une bonne adaptation ?


Pour un amateur de divertissement sans prise de tête pas trop porté sur la littérature à l'origine, ce film passe comme une lettre à la poste, mais en fervent lecteur des classiques ayant jeté votre dévolu sur le livre d'Oscar Wilde, cette adaptation, tout comme la cigarette selon Lord Henry Wotton, vous laissera sur votre faim...


Le film est comme qui dirait "minimisé", que ce soit dans la qualité de son intrigue, le niveau de dramaturgie, comme dans la richesse des personnages y évoluant. Le casting fait son travail, Colin Firth donne une bonne interprétation de Lord Henry Wotton, et Ben Barnes livre un Dorian Gray plutôt correct... Mais leurs personnages, s'ils restent convenables dans la mesure où le film se veut un divertissement original, ne sont qu'une mauvaise copie des héros du classique de la littérature anglaise qui est adapté ici. Dorian Gray est ici un jeune premier qui passe de l'innocente à la cruauté, beau, mais pas assez beau, Henry Wotton est un lord raffiné et cynique, philosophe à ses heures mais au final pas assez philosophe à ses heures. Les personnages sont donc minimisés dans leur richesse d'écriture, peut être pour simplifier la relecture et l'adapter sur format cinématographique, afin de toucher non seulement le public lecteur mais aussi le public néophyte en littérature. On ne peut le blâmer sur ce point car c'est le passage obligatoire pour toutes les adaptations d'un roman qui veulent avoir un impact commercial plus important lors de son exploitation en salles, en général plus simplistes que le livre, elles permettent une plus grande marge de compréhension de la part du public et tous les grands succès sont passés par là (On estime que la trilogie Le Seigneur des Anneaux reprend seulement 60 % du bouquin de Tolkien).
Mais même si c'est excusable car tellement commun, cette simplification du récit de Wilde est une erreur monumentale. Le livre étant à l'origine un petit roman de 300 pages dans lesquelles chaque aspect peut être développé sur grand écran, et la richesse des personnages en fait partie. Des monologues saisissants de Wotton à la folie grandissante de Gray, tout pouvait être exploité sans pour autant diminuer la compréhension du public et donner ainsi aux spectateurs des personnages plus complexes et gagner en richesse d'écriture.
Mention spéciale et contraire au personnage de Sybil Vane, interprété par une Rachel Hurd-Wood qui a cette prestance, qui contraste avec Dorian Gray par sa présence angélique et son innocence elle, infaillible au contraire du principal antagoniste. Elle prend d'ailleurs une plus grande importance que dans le livre.


Aussi, chaque acte des dits personnages est tourné en banalité au sein du film, le côté dramatique voir tragique du récit est quasi absent, que ce soit dans le suicide de Sybil Vane ou le meurtre de Basil Hallward, rien ne pousse à l'émotion, rien ne personnifie la cruauté de Dorian Gray, la rend authentique.


Ce qui diminue aussi la richesse du livre d'origine, c'est ce rajout complètement dispensable, de la fille de Lord Henry Wotton, qui décrédibilise les caractères respectifs de Wotton et Gray, rendant le premier moins cynique et appauvrissant sa philosophie de vie, et transformant littéralement le deuxième jusqu'à lui enlever sa principale force, le charme cruel du personnage imaginé par Wilde.
Cette décrédibilisation, cette simplification des personnages enlève aussi la grande force du roman d'origine. Là où le livre se veut une satire, une caricature de la société victorienne de Londres au XIXème siècle, le film se cantonne au divertissement. Là où Wilde, sous fond fantastique, pointe du doigt cette classe aisée hypocrite et pleine d’orgueil à travers le personnage de Dorian et son éternelle jeunesse, et ce paradoxe avec le portrait qui vieillit à sa place et prend les stigmates du temps à sa place symbolisant ses pêchés et ses accès de cruauté, le film livre tout simplement un récit fantastique, sous fond d'histoire fantastique...
La véritable nature de l'art et de son opposition à la beauté et à la vie en général de par son côté éternel, la vision du bien et du mal dénoncée par l'auteur, tout ceci est absent du film, absence qui ne trouve aucune excuse, car au contraire de certains romans bien plus complexes traitant de thématiques trop lourdes et trop riches pour un film, ces pensées étaient tout à fait adaptables sur grand écran.


Néanmoins, en prenant ce film comme un film à part entière et non en premier lieu comme une adaptation, il s'agit d'un film fantastique passable, à la distribution correcte, très influencé par le style de Edgar Allan Poe et la patte de Tim Burton, ici mis en avant avec plus de violence.


Pour les non lecteurs, ce film est un divertissement sans prétention peut être à voir une fois, pour les lecteurs n'ayant pas lu le classique d'Oscar Wilde, lisez tout d'abord le livre, pour les lecteurs l'ayant déjà lu, passez simplement votre chemin.

Tom-Bombadil
5
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le 2 janv. 2018

Critique lue 358 fois

Tom Bombadil

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