Un bijou que je redécouvre totalement, étant déçu la première fois de ce brin de fantastique venant soit-disant parasiter de manière trop évidente le tour de magie alors qu'il en est un élément nécessaire pour soutenir la quête prométhéenne de ces deux hommes. En fait, tout ce qu'on pouvait reprocher à la trilogie Batman de C. Nolan, à savoir balancer des écriteaux voyez ce que je vous passe comme information au lieu de passer par l'image, est ici dissous. Je n'ai pas lu le bouquin éponyme mais on peut sentir l'énorme boulot d'adaptation qui est derrière. Car la qualité d'écriture elle-même devient un subterfuge au service de son sujet, deux magiciens plein d'abnégation visant à devenir le meilleur des deux. Et pourtant dès le premier plan, tout est là, mais on regarde mal. En effet, le spectateur a besoin de prestige, et ce film le lui livre constamment, inconscient du tour dont il est victime du début à la fin. Ce qui est fort, c'est d'avoir réussi avec ce film de passer de la magie de l'écriture pure à la magie du cinéma, devenant ainsi une mise en abîme du spectacle et de l'artifice qui est à sa base et de maintenir l'illusion jusqu'où bout.


Le récit à fois enchâssé et circulaire était la meilleure idée pour nous faire vivre de l'intérieur ce tour de magie, qui livre à travers la lecture du journal intime portant sur le truc de chacun des magiciens, une histoire passionnante à suivre, alors que le lecteur ne se doute pas de la mesure de la fourberie et de la force de suggestion de son adversaire, qui a choisi comme lui de vivre entièrement pour son art. Mais sans penser à l'astuce une fois celui-ci découvert, on se prend au jeu du récit lui-même, dévoilant un véritable film noir recrée à l'époque victorienne où les mêmes ingrédients sont utilisés, à savoir un meurtre au secret bien gardé, une relation amoureuse passionnelle qui va enrayer ce qui était jusqu'à présent une simple émulation réciproque, mais le tout joint à la saveur bien particulière du mythe ancien de l'homme voulant dépasser ses propres limites, et au contexte du progrès grandissant de la science permettant peut-être de réaliser ce vieux rêve. Et bien sûr le cadre de la magie lui-même est une raison suffisante pour s'attacher au film, parfait sujet pour mettre en branle la dimension tragique du récit, où l'amour non-interchangeable est le seul obstacle à la complète réussite de la pratique des deux magiciens, dont le truc derrière le tour devient un art de vivre au point qu'ils en perdent presque toute identité personnelle de manière presque schizophrène (on ne pense jamais à celui qui reste dans l'ombre).


Ce qui parachève pour moi ce film comme un chef-d'oeuvre accompli est l'implication totale des deux acteurs principaux pour leur rôle, participant à l'illusion qui est à la base de l'histoire. Christian Bale était déjà reconnu pour son talent à se fondre dans son personnage tel un caméléon, beaucoup moins Hugh Jackman qui dévoile ici l'ampleur de son talent. D'ailleurs c'est drôle comment le choix du casting reflète leur propre filmographie, puisque si ce dernier est là pour assurer le spectacle, l'étincelle permettant au public d'être conquis par ses simples présence et charisme, le talent de l'autre est bien plus caché et redoutable, expliquant la raison de son flop, mais aussi les qualités d'un véritable magicien. De même, la présence de Scarlett Johansson n'est pas anodine, dont le charme évident est là pour nous détourner le regard, ne se doutant pas qu'elle aussi fait partie du grand subterfuge. D'autres acteurs à l'apparition plus fugace reflètent cet effort de nous relier au monde du spectacle et de ses fards, comme les transformistes Andy Serkis et David Bowie, chacun dans un domaine bien différent. Enfin, même si la réalisation s'efface derrière l'histoire racontée, il y a aussi un superbe boulot de reconstitution d'époque mariée à un petit soupçon de fantastique, où on se régale de découvrir les petits trucs de magie comme un gamin, qui demandent parfois de la part de l'exécuteur sa part de sacrifice.


Voilà comme je résume ce film. Un modèle d'adaptation du roman au cinéma (avec des dialogues diablement bien écrits et intégrés), un thème passionnant - la magie - qui nous interroge sur les limites de l'abnégation personnelle pour l'art et l'effet de l'image-illusion sur le spectateur qui participe lui-même au spectacle, et un casting totalement impliqué. Selon moi le véritable chef-d'oeuvre de C. Nolan, son Masterpiece.

Arnaud_Mercadie
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le 23 avr. 2017

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Dun

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