Le Privé
7.6
Le Privé

Film de Robert Altman (1973)

Avec « Le Privé », Robert Altman met sur pellicule une pure abstraction du roman noir en critiquant avec acuité les valeurs dépassées de Phillip Marlow, tout en démystifiant le personnage, dressant ainsi une désacralisation. Histoire lunaire, héros cynique, avec comme toile de fond Los Angeles, qui, rarement, aura été filmée avec autant de profondeur en tant que scène crépusculaire. Et pourtant, malgré ses reflets sombres, « Le Privé » dispose de la lumière comme principal décor en mettant en exergue l’intelligence du lieu. Pourtant, il s’agit là d’une œuvre qui, lors de sa sortie, a déclenché un vif émoi, notamment parmi les lecteurs de Raymond Chandler. Aujourd’hui, il est difficile de considérer ce film autrement que comme une adaptation miraculeuse, marquant également les premiers pas cinématographiques de l’autrichien au slip jaune claquant ses pectoraux au second plan.


Évitant scrupuleusement le piège de l’académisme, « Le Privé » illustre une société plus impitoyable, plus cynique : celle des années 1970 et du bouleversement des idéaux. Les auteurs n’hésitent pas à totalement chambouler la figure de Phillip Marlow. Ici, il est rendu laid, dépassé, ressemblant de plus en plus à une épave, sous les traits d’un Elliott Gould nonchalant transpirant la classe, l’insolence et l’arrogance. Des termes qu’Altman transformera en évidence, comme lorsqu’il filme des filles nues pratiquant le yoga sur leur terrasse. Le code de l’honneur résiste sur des piliers de plus en plus fragiles, tandis que le « bon gout » se fait un claquage des tendons. Bref, « Le Privé » est un film de son temps, mais avec des protagonistes d’une autre époque. On pourrait prendre comme exemple le personnage de l’écrivain Roger Wade, incapable de survivre dans cette société. Et le métrage s’approche d’une forme ludique en jouant avec les codes du film noir, dont on retrouve plusieurs éléments, renforçant la dimension humaine du récit, alimentée par un aspect comique galvanisant.


Au fond, « Le Privé » est une tragédie : celle de l’air du temps. Ce Phillip Marlow version 70’s, pur régal de cinéma, n’est autre que la cristallisation d’une société en pleine déliquescence. Une contre-légende qui nous fait savoir que tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Kiwi-
8
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le 7 juin 2017

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