Au moment où j'écris ce texte, cela fait donc six mois que Ronit Elkabetz, l'actrice et réalisatrice israélienne, est décédée prématurément. Je garde d'elle, avant tout, l'image de douce sensualité et cette présence incroyable qui habitait l'écran de La Visite de la Fanfare (dont on ne chantera jamais assez les louanges).
Gett (Divorce en Hébreu, traduit en français par Le Procès de Viviane Amsalem) est le troisième et ultime film qu'elle réalisa avec son frère Shlomi. Il clôt une trilogie entamée avec le film Prendre Femme et poursuivie par Les Sept Jours.
Le minimum que l'on puisse dire, c'est que la réalisatrice se fait sobre, discrète le plus possible. Aucun effet de mise en scène. Le film nous montre, de façon elliptique, les sessions du tribunal qui doit se prononcer sur le divorce de Viviane et Elisha (l'excellent Simon Abkarian). Rien d'autre. La vie en dehors du tribunal est complètement évincée. D'ailleurs, on n'aperçoit le monde extérieur qu'à la scène finale, à travers une fenêtre. Nous sommes dans un huis-clos.
Cette sobriété extrême a clairement pour but de concentrer l'attention du spectateur sur le plus important : ce qui va être dit entre ces murs.


Et la première chose qui frappe, c'est que les femmes semblent être des citoyens de second ordre dans l'Israël moderne et démocratique. « La vie de ma cliente lui appartient », dit son avocat Carmel au début du film, et pourtant plus le temps passe et plus on doute de cette affirmation. C'est toute la capacité des femmes à prendre en main seules leur propre vie qui est ici discutée. En effet, pourquoi divorcer, puisque son mari est un homme parfait, le mari idéal (ou plutôt le gendre idéal, puisqu'il ne semble pas que les filles aient toujours leur mot à dire).
Derrière une apparence d'égalité des droits, on sent bien que le mari est supérieur à sa femme. Un des témoins le dit : le plus important, c'est qu'une femme doit le respect à son mari. Elle doit être aux petits soins pour lui. D'ailleurs, on en vient vite aux suspicions : si elle veut quitter son mari, ne serait-ce pas parce qu'elle fait des folies avec d'autres hommes ? Les questions des juges montrent vite leur incapacité à faire confiance à cette femme, aux femmes en général. Après tout, une femme qui veut sa liberté n'est qu'une « obstinée, une tête de mule ».
le pouvoir du mari est bien montré dans ces scènes successives où il ne se présente pas au tribunal. Il suffit qu'il ne vienne pas pour que Viviane soit obligée de continuer à vivre avec lui ; au bout d'un moment, on va quand même se décider à le menacer... de lui retirer son permis, qu'il n'a pas, d'ailleurs ! La scène finale montre bien aussi cette toute-puissance de l'homme sur la femme : il suffit qu'il refuse quelque chose pour que cette chose ne se fasse pas, quels que soient les désirs de l'épouse.
Après tout, Elisha est le mari parfait. Il est riche, religieux, respecté, il n'est pas violent, alors pourquoi partirait-elle, si ce n'est pour commettre des fautes ? Les juges sont incapable de prendre en compte la simple incompatibilité entre un homme et une femme qui, visiblement, n'ont pas choisi de se marier (voir cet aveu si émouvant de Viviane qui avoue penser à ce divorce depuis le jour même du mariage). Si l'homme est bon, alors la femme ne peut qu'être contente d'être avec lui. Les notions d'amour, d'attirance et de liberté semblent totalement absentes.
Mais, petit à petit, le portrait idéal d'Elisha se craquelle. Il se révèle colérique, borné, extrémiste. Le modèle du mari orthodoxe juif ?


Partant du portrait de ces fausses libertés accordées aux femmes, Ronit Elkabetz va plus loin, dressant un portrait critique de son pays, où la religion tient encore une place trop importante et gangrène l'état tout entier. Le procès qui se joue là ne concerne pas seulement la liberté des femmes à disposer d'elles-mêmes. C'est la confrontation entre un modèle traditionnel religieux et un modèle laïc. Plusieurs fois, les juges reprochent à Carmel, l'avocat de Viviane, de ne pas porter sa kippa. Une des accusations les plus fortes contre Viviane, c'est qu'elle incite les enfants à ne pas respecter le shabbat (ils ont même le droit d'allumer la télé ! Sacrilège!), alors qu'Elisha est un modèle de foi et de vertus religieuses.
La cinéaste fait le portrait d'une société moisie où la femme doit construire un « parfait foyer juif » et élever les enfants « pour la gloire d'Israël ». la religion sert d'aune à toutes les actions, jusqu'au divorce lui-même qui ressemble à une tradition religieuse codifiée depuis des millénaires.
« Assez d'hypocrisie », dit Viviane face caméra. C'est bien le cri que lance Ronit Elkabetz à toute une société israélienne, voire à tout un Occident encore emprisonné dans ses fondements misogynes.

SanFelice
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le 1 déc. 2016

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