Un réflexe n'est pas la peur. Une ambiance, si.

Je suis affreusement inquiet. Inquiet pour le cinéma en général et pour le genre de l'horreur en particulier.


Inquiet parce que le Projet Blair Witch est un mauvais film. Les acteurs y surjouent presque en permanence, les personnages qu'ils campent sont insupportables de bêtise pure, et le style volontairement "amateur" du film (found footage par excellence) justifie une caméra embarquée pourrie et un son à la ramasse (j'ai dû augmenter plusieurs fois le volume de certains passages pour enfin entendre ce que les personnages avaient entendu).


Seulement, lorsque j’eus fini de regarder le Projet Blair Witch, je me suis rendu compte que j'avais assisté à l'un des meilleurs films d'horreur qu'il m'ait été donné de voir. Ou plus exactement, l'un des plus grands films d'angoisse. Pour expliquer ce point de vue, je devrais spoiler la fin en dernière partie de cette critique, mais aussi et surtout expliquer ce qui fait, à mes yeux, la différence entre un film d'horreur et un film d'angoisse.


I-Synopsis


Donc le Projet Blair Witch est un found footage, c'est-à-dire un film se basant sur le scénario simpliste suivant : des "gens lambdas" (encore que plus débiles que la moyenne, on y reviendra) qui ici sont représentés par trois étudiants américains, décident de faire un reportage (ou de laisser une trace de ce qu'ils ont vécu) sur une activité ou une légende supposément paranormale/mystérieuse/fantastique. Un reportage impliquant évidemment de filmer, c'est toujours l'un des personnages présents qui s'y colle (ici Heather, la leader en début de film du groupe) et qui justifie l'emploi de cette caméra en vue subjective qui les accompagne en permanence (ici, le but étant apparemment de bien se marrer entre potes).


Dans le Projet Blair Witch, il s'agit d'aller faire un simili-reportage amateur sur la sorcière de Blair, une vieille femme dont on ne sait pas grand chose même après avoir terminé ce qui aurait pourtant dû être un reportage explicatif sur le sujet. Le film s'ouvre donc sur les trois jeunes gens qui préparent leur matériel et se mettent en route, puis sur des interview de personnes du coin qui ont entendu parler de la légende. Mais évidemment (sinon il n'y aurait pas de film, ou peu d'intérêt à le regarder), les événements dont les protagonistes ont entendu parler s'avèrent un peu plus que des légendes, et ce qui devait à l'origine n'être qu'une sympathique balade dans les bois va virer au cauchemar assez vite. Et comme le film commence littéralement par un carton annonçant que les cassettes ont étés "retrouvées", on se doute que tout cela va mal finir.


Comme je l'ai déjà dit, les personnages sont horripilants au possible, simplement parce que s'ils finissent par combattre "quelque chose" qu'ils ne connaissent pas, il n'empêche que la situation ne dégénère que par leur propre faute, l'un d'eux ayant décidé d'agir comme un gamin de quatre ans.


Pour ceux qui tiennent à savoir, Heather va d'abord refuser d'admettre qu'ils sont perdu. Mike va alors décider non seulement de jeter la SEULE CARTE qu'ils possèdent dans une rivière, mais en plus d'attendre le lendemain en fin d'après-midi pour le leur annoncer. Quand je vous disais qu'ils étaient plus débiles que la moyenne...


On a beaucoup de mal à s'attacher à eux et j'aurais très mal noté le film pour cette raison...si ce n'était l'ambiance.


II-L'aspect fondamental de l'ambiance


C'est le gros point fort du film et ce qui m'a permis de comprendre pourquoi je n'aime pas les films d'horreur modernes. Le premier aspect de cette excellence est paradoxalement le fait que la caméra soit maniée par un non professionnel : des déplacements lisses et nets dans un film d'horreur donnent une sensation de sécurité, nous distancie par rapport à ce qui se passe, et nous place dans la position du spectateur absent. Or ici, puisque la caméra est en vue subjective, non seulement on a l'impression que rien n'est maitrisé par celui qui la manie (il sera d'ailleurs dit clairement dans le film que ce n'est qu'un moyen de se distancier par rapport à ce qui se passe), mais puisqu'elle est absolument m...auvaise, elle limite notre champ de vision à une minuscule fenêtre, nous empêchant de voir le danger venir.


Cette sensation d'être à l'étroit est encore renforcée par l'immensité des bois, puisque où que l'objectif se tourne, la vue est bouchée par la végétation. C'est bien pire la nuit, puisque soit la vue est à l'intérieur d'une tente, soit le noir limite la vision à quelques mètres et fait prendre n'importe quel arbre pour un danger potentiel. Encore plus intelligent : si l'on comprend assez vite qu'il y a une menace, celle-ci ne se montre jamais clairement et n'est d'ailleurs pas totalement identifiée. On en sait finalement assez peu sur les sorcières et on ne fait pas confiance à ce que les personnages disent pour se rassurer, eux-mêmes ne contrôlant plus rien. Toutes les interviews de début de film ont brouillé les cartes plus qu'elles n'ont apportées de réponses, et l'on se sait donc pas à quoi s'attendre, là où un film moderne s'oblige à expliquer constamment, et jusque dans ses moindres détails, la menace qui pèse sur les protagonistes.


Enfin, le Projet Blair Witch repose énormément sur le hors champ. Ce qui est menaçant dans le film est systématiquement en dehors du cadre, loin dans les ténèbres. Tout ce que nous voyons, c'est le désespoir des personnages grandir, le fait qu'ils ont de moins en moins de choses auxquelles se raccrocher, à mesure que la forêt semble dévorer leurs repères. Du même coup, j'ai pu m'attacher d'avantage à eux, parce que même mal joué, cet aspect de décente aux enfers leur donne une humanité franche.


Et c'est exactement là où je veux en venir : comme on voit le monde de leur point de vue, on en vient à partager leur angoisse, leur impuissance face à quelque chose dont ils ne savent même pas précisément ce que c'est. Et cela s'intensifie encore avec la fin du film.


III-La fin


Plus les jeunes gens sont perdus, plus la menace semble devenir puissante. De simple rire, elle devient capable de secouer leur tente la nuit, puis de modifier l'espace, pour finalement enlever l'un des membres du groupe dont elle imitera la voix. Finalement, Heather fait son testament sous la forme d'une vidéo où elle se montre face caméra.


C'est alors qu'ils leur semble que le membre disparu les appelle au loin. Bien que l'héroïne sache qu'il est mort, ils suivent tout de même l'appel. Jusqu'au bout ils voudront croire que c'est bien leur camarade qui les appelle, jusqu'à arriver à une maison. Mike constatant alors que le disparu n'y est nulle part, mais entendant toujours sa voix, il cède à la panique. Les deux survivant iront s'enfoncer dans le sous-sol de la maison, où leurs deux caméras tombent. Et...


Fin du film.


Absolument. Génial. Parce qu'au lieu de nous faire un long discours sur ce qu'était la menace, ou de nous la montrer avec des images de synthèse ou des effets spéciaux, le film sublime son ambiance en ne donnant pas de réponse à son énigme. Par conséquent, son cadre s'étend jusqu'au-delà de lui-même et j'ai encore des frissons rien qu'en écrivant ces lignes.


IV-Conclusion


Je suis affreusement inquiet. Inquiet pour le cinéma en général et pour le genre de l'horreur en particulier.


Parce que de plus en plus, ce genre sur-codifié semble se diriger vers deux branches distinctes. D'un côté du gore dégueulasse que l'on regarde pour rire, de l'autre des films avec une peur épidermique, qui ne fonctionne que sur quelques secondes, à grand renfort de chats qui sautent sur la caméra. Or la vraie peur est une angoisse bien plus profonde, bien plus difficile à créer. Le Projet Blair Witch est un mauvais film, mais je ne pouvais pas lui mettre une mauvaise note, car il a compris ce que bien des réalisateurs du genre ne semblent même plus chercher à comprendre. A savoir qu'un réflexe n'est pas la peur. Une ambiance, si.

Pulsar
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le 2 janv. 2017

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