Paul Verhoeven, on connait bien. Que ce soit dans les années 80 où il s'est illustré par Total Recall ou le cultissime Robocop, le bonhomme a fait beaucoup couler d'encre. Surtout, et c'est là qu'il en est d'autant plus intéressant, dans la controverse. Accusé, pour Robocop puis, bien plus tard, pour Starship Troopers, de promouvoir le totalitarisme (jusqu'à l'associer aux nazis, c'est pour dire) et l'ultra-violence, le vigilantisme, et plein d'autres choses, Verhoeven est pourtant, et ce sans aucune subtilité, un dénonciateur acerbe, violent dans sa forme mais pas dans son fond. Il suffit de regarder les détails du cadre, les publicités sordides qu'il martèle à longueur de péloche, pour voir que ses dystopies portent bien leur nom, qu'il montre la manipulation médiatique, et qu'il prend tellement peu de gants qu'il est absurde de voir encore des opposants qui ne comprennent pas ce qu'il raconte et y voient l'exact contraire.


Et il n'y a pas que dans la violence physique que les accusations fusent. Accusé d'être un détraqué sexuel suite aux brillants Basic Instinct et, beaucoup plus récemment, Elle (là encore, on connaissait parfaitement Verhoven après 40 ans de carrière, mais beaucoup de critiques aveugles sont tombé.es dans le panneau), Verhoeven a le don de savoir taper où ça dérange, de faire camper des personnages difficiles pour les mettre face à leur propre absurdité, et visiblement, il y arrive encore, tant tout le monde tombe encore dans le panneau. Quand on voit que le prochain projet du réalisateur s'intitule "Saint Vierge", et que ça traitera d'une bonne sœur lesbienne, on sent que la gêne n'a pas fini de torturer les esprits faciles.


Mais sans digression, une petite introduction pour présenter un auteur qui, vous l'aurez compris, est pas mal apprécié ici, pour revenir sur un point, qui va nous diriger vers l'oeuvre présentée, Le Quatrième Homme. Toutes les œuvres citées précédemment, à l'exception de Elle qui sera germano-franco-belge, sont des œuvres américaines. Et on a tendance à sérieusement oublier que non seulement le bonhomme est néerlandais, mais qu'il a une carrière au pays qui, en plus d'être conséquente, n'est clairement pas dédaignable. Et qui traitent des mêmes thèmes qui seront déclinés tout au long de cette même carrière. Turkish Délice, relation amoureuse auto-destructrice où la dépendance au sexe prend constamment le pas sur les sentiments affectifs, Le soldat orange, où une fresque sur la seconde guerre mondiale du point de vue néerlandais, résistant et collaborateur, avec des prises de partis clairement prononcées (donc ceux qui pensent encore que Robocop et Starship Troopers sont des films pro-totalitaires, dirigez-vous donc par là et on en reparle), d'autres choses à voir et le quatrième homme.


Ce dernier nous intéresse donc car c'est le dernier à être tourné au Pays-Bas, avant le début de sa carrière semi-américaine avec La Chair et le Sang. Le film qui, au-delà des premiers succès, a définitivement conquis les producteurs états-uniens de tenter une collaboration avec Verhoeven. Et on les comprend. Le Quatrième Homme est une oeuvre ambitieuse, aux confins de la folie, qui va traiter de cet aspect via le spectre de la mort. On y suit l'histoire de Gerard Reve, romancier obsédé par son propre trépas, victime d'hallucinations répétitives où il se voit décéder, et qui va, commençant une nouvelle relation amoureuse avec Christine Halsslag, jeune femme énigmatique à la fois envoûtante et dangereuse, vivre ses transes de manière plus intenses et plus fréquentes.


Adapté du bouquin de l'auteur du même nom que le personnage principal, auteur qui supervisera le tournage tant le bouquin - qui lui aura notamment servi à affirmer son homosexualité et son anti-cléricalisme dans des Pays-Bas alors très puritains - lui tient à cœur, le Quatrième Homme est avant tout un véritable terrain de jeu pour Verhoeven, qui par le prisme du rêve peut expérimenter énormément de styles de mise en scène. On y verra souvent des inspirations directes du travail de Brian de Palma (éléments que l'on voyait déjà dans ses précédentes oeuvres, et qui deviendront une marque de fabrique constante chez l'ami Paul) dans les représentations de la violence, les scènes de sexe (malgré un côté plus "bridé" qu'il n'avait pu l'être, par exemple, sur Turkisk Délices) et l'onirisme en général. Les scènes de morts fantasmées sont clairement malsaines, inédites pour l'époque (coïncidence probablement, mais on retrouvera certaines méthodes des années plus tard...dans Destination Finale et, bien plus probable, dans l'Échelle de Jacob), renvoient à un aspect viscéral, sans retirer une grosse idée esthétique et cinématographique. En gros, c'est sacrément bien gaulé.


Là où Verhoeven excelle, c'est dans la mise en abîme des sentiments de ses personnages. On se sent constamment proche de Gerard Reve, on est constamment intrigué par ce qui le torture, le voyage est entraînant, et on n'en lâche pas une miette. On ne saurait vous conseiller Le Quatrième Homme : jetez-vous sur Paul Verhoeven, son travail atypique, ses oeuvres qui regorgent d'idées toutes plus intéressantes les unes que les autres, analysez-le, vivez-le.

ThierryDepinsun
8
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le 24 mai 2018

Critique lue 176 fois

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