Hazanavicius, on l’aime quand il se fait plaisir. Et ça tombe bien, parce que son Redoutable ressemble à une grosse récréation farfelue et érudite dans la veine de ce que le cinéaste sait faire de mieux. Sa relecture de Godard est le digne alter ego d’Hubert Bonnisseur de la Bath : un mégalomane séducteur, prétentieux, à l’humour idiot et à la misogynie rampante, qui se tape l’affiche à la première occasion par son verbiage autosatisfait et sa rhétorique qui n’est profonde… qu’en surface. Abordant son personnage sous un angle relativement bienveillant (ou, du moins, pas spécialement à charge), Hazanavicius fait la part belle à l’humour des dialogues et des situations, dans un rythme enlevé qui rappelle à tout instant un OSS 117, le milieu du cinéma remplaçant celui de l’espionnage. Certes, on est loin du ton acerbe et sans pitié d’un Christophe Donner par exemple, qui publiait il y a deux ans un récit très documenté sur le cinéma français de cette époque finalement peu bénie (« Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive »). Mais même en connaissant le côté sombre de la personnalité de Godard, le film fonctionne du tonnerre. Parce que le cinéaste lâche totalement la bride, dans ce style un peu spécial qu’on lui connaît désormais bien. Parce que Louis Garrel y va à fond, hilarant, tout en recul et en négligence calculée. Parce que tous les seconds, tierces rôles ont l’air de se poiler sans limites, travestis en soixante-huitards gueulards et désordonnés y allant chacun de sa ligne de texte géniale – parmi eux, les inestimables Marc Fraize (déjà à l’affiche du taré Problemos) ou Marc Brun-Adryan. Ne vous fiez pas à son macaron cannois : Le Redoutable est une pure comédie « hazanavicieuse », superbement dialoguée et mise en scène, menée à un train d’enfer et regorgeant de punch-lines féroces. Il n'y a que le personnage de Stacy Martin pour ralentir le rythme comique, un choix pertinent quand on connaît l'issue de la relation des personnages dans la vraie vie, que le réalisateur choisit pudiquement de ne pas tourner en dérision tout en donnant un léger équilibre dramatique au récit, d'une manière assez semblable aux héroïnes féminines des OSS.


Sorti d'un aspect sérieux qui point parfois (sans lourdeur et de manière justifiée compte tenu de la réalité), quiconque a ri devant un OSS ou devant le cultissime Grand Détournement appréciera donc sans doute l’esprit et les nombreuses trouvailles de ce Redoutable, qui évoquent un véritable best-of de l’esprit Hazanavicius. L'élégante ringardise de la mise en scène, couplée à une reconstitution très précise des années 70, donne au film un cachet unique qui rappelle volontairement le célèbre pastiche, de manière peut-être plus prononcée que les OSS, avec ce discret traitement d’image, avec les faciès souvent luisants des interprètes, comme suant sous de bons gros projecteurs plateau à l’ancienne. Les gesticulations verbales de Louis Garrel, qui tente par tous les moyens de sortir de bons mots quitte à paraître ridicule, épousent parfaitement le ton absurde des premières réalisations comiques d’Hazanavicius, avec comme un soupçon de maturité supplémentaire qui les rend parfois certes moins immédiatement drôles, mais toujours subtilement savoureuses. Sans trop en faire, le cinéaste s’amuse également à reproduire les afféteries d’un film d’auteur godardien (regards caméra, coupures de son, image en négatif, mises en abyme), qu’il dissémine un peu partout de façon équilibrée, le clou restant les tags écrits sur les murs, débitant un charabia révolutionnaire vintage délicieusement absurde qui n’aurait pas déparé dans des répliques du Grand détournement. On retrouve d’ailleurs un grand clin d’œil à ce dernier dans une agréable séquence de doublage improvisé, et bien sûr avec le magnifique logo de la boîte de production, pleinement assumé : "La Classe Américaine". Ce qui rappelle Georges, politiquement.

boulingrin87
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le 5 oct. 2017

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Seb C.

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