Ce film me faisait un peu peur, et cette appréhension était justifiée : on n'a pas affaire ici à du pré-mâché ou à un divertissement.
L'histoire de ce petit village allemand qui devient le théâtre de plusieurs crimes violents est racontée par l'un des personnages, celui de l'instituteur. Le jeune homme est cultivé et vient d'un autre village, ce qui lui permet de conserver une certaine distance ; mais s'il nous explique ce qui s'est passé, il ne nous dit pas quelle conclusion tirer de cette histoire, et c'est à la fois la difficulté et l'intérêt de ce film.
On suit la trajectoire de plusieurs personnages, fortement caractérisés par leur classe sociale : les paysans, le baron, son régisseur, le pasteur, le médecin... et leurs enfants.
Les rapports de dépendance et de soumission jouent un rôle essentiel dans ce film, et pas simplement au niveau de la sphère sociale : la famille est en effet tout aussi asphyxiante pour les individus. Haneke utilise le noir et blanc, les ombres et le contre-jour pour créer des cadres qui renforcent cette impression d'enfermement et de solitude.
Difficile de tomber dans la nostalgie avec ce film : l'image est très belle, mais la façon de filmer les visages (éclairés par des bougies, pâles au-dessus des vêtements uniformément noirs) et les corps évoque des fantômes.
Les enfants occupent une place prépondérante dans ce film, tendance Sa Majesté des mouches, à ceci près que les adultes et leur éducation sont clairement mis en cause (le pasteur, avec son obsession de la pureté symbolisée par le ruban blanc qu'il impose à ses enfants, met particulièrement mal à l'aise) ...
Mais ce sont bien les enfants qui constituent l'enjeu du film, puisqu'ils préfigurent les horreurs à venir plus de deux décennies plus tard.
Ce film, glaçant, apparaît comme une sorte de psychanalyse de l'Allemagne, et il donne des pistes subtiles pour comprendre la violence et la cruauté. Difficile de ne pas être troublé par cette oeuvre qui ne prescrit rien, mais donne beaucoup à réfléchir.