Un journaliste a dit, en évoquant Le Ruban Blanc qu’il s’agit de la meilleure adaptation littéraire qui ne repose pas sur un roman. Pourtant, s’il fallait relier ce film à une œuvre littéraire, ça serait à celle de Philippe Claudel intitulée Les Âmes grises qui a reçu le Prix Renaudot en 2003. Si petit à petit, le spectateur découvre que le film se passe aux prémices de la Première Guerre Mondiale dans un village allemand en quasi huis-clos, l’histoire du roman de Claudel se passe elle en décembre 1917 dans l’est de la France, dans un village lui aussi enclavé. En Allemagne, une série de malheurs s’abat sur ses habitants dans un noir et blanc somptueux où est exposée une galerie de personnages glaçants tandis que proche de Verdun, le village français du livre de Claudel est confronté au meurtre d’une fillette nommée Belle de Jour. Dans la première oeuvre comme dans la seconde, le narrateur relate les réactions des uns et des autres avec des figures tutélaires qu’on retrouve autant chez l’un que chez l’autre à quelques variantes près : la figure du professeur, celle du baron, le médecin, le pasteur, les notables, les petites gens, les enfants…


Revenons plus en détails sur le film. Alors que le mystère et le hors-champ laissent la part belle, non pas à des héros mais à des âmes grises partagées entre le bien et le mal (en prédominance chez Haneke), les caractères et les sentiments se dévoilent comme les affinités, les soupçons et les lâchetés. L’état de vigilance du spectateur est constant grâce aux choix esthétiques du réalisateur : noir et blanc de l’image, la durée allongée des plans, la rareté des soubresauts de la caméra, l’absence de musiques autres que celles jouées dans le plan. Haneke ne révèle rien, il laisse à voir, sans juger la perversion de ces hommes et de ces femmes dans des scènes qui se terminent le plus souvent dans l’irrésolu.


Dans cet apparent havre de paix, se pose irrémédiablement la question de l’articulation de la faute des pères sur les fils. L’innocence, représentée par ce fameux ruban blanc, symbole de l’innocence est contrebalancée jusque dans le choix colorimétrique du réalisateur qui souligne l’affrontement du Bien et du Mal, la part solaire du cycle saisonnier et les obscurités des comportements humains. Des conséquences de l’injustice et de l’humiliation sur l’être humain, des articulations entre violence psychologique et violence physique, se joue la remise en question du thème de l’innocence chez un réalisateur qui touche avec Le Ruban blanc une forme d’accomplissement de son travail en témoignant d’une réalité à la fois parfaitement lisible et tout autant trouble.

thomaspouteau
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le 26 mai 2020

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