WARNING : ceci n'est pas une critique du sacrifice, mais un petit quelquechose que je veux écrire sur les films et le regard porté sur les films de Tarkovski.


***


Un culte immodéré et superficiel entoure à mon sens l'oeuvre de Tarkovski.

L'étrangeté radicale et la nouveauté de son langage, ainsi qu'un respect un peu trop
pronnoncé pour sa trajectoire, a fait qu'on a construit une cathédrale quasi intouchable en son honneur.
Peu se risquent à égratiner ou remettre en cause l'oeuvre du saint homme, par crainte de passer pour des idiots, ou peut-être parce qu'une vie à tel point menée dans le rapport à Dieu, à la transcendance, au spirituel, mérite qu'on ne vienne pas bousculer son art : on dirait les hommes préhistoriques de 2001 mis en présence du monolithe.

Or, ce n'est pas parce que ce réalisateur a consacré toute sa vie à s'orienter vers la recherche de Dieu et à dresser un mur d'intégrité effectivement assez impressionnant, qu'on ne doit pas pouvoir dire, sans craindre l'opprobre d'une partie de l'intelligentsia, qu'un lourd ennui et un maniérisme doloriste se dégagent parfois de ses films.


Qui aime bien châtie bien ; quand je me suis pris ses films en pleine face, il y a plus de 20 ans, je les ai aussi pris comme des monastères dans lesquels il était attirant de se réfugier avec une certaine dévotion ; mais plus les années passent, plus je pense qu' on peut nuancer le jugement qu'on porte sur ses films.
Tarkovski, comme bien d'autres, a souvent fait du Tarkovski, et en bien des occasions a trop surligné son monde, ce qui pour moi nuit à la pureté de son inspiration.

J'ai dès le début été sensible à son univers, et j'ai été moi aussi grandement impacté par
la densité de ses films, ce qui ne m'empêche pas de penser, avec le recul,
que son oeuvre est inégale, bien que de prime abord, ses films ne semblent faire qu'un.

"Roublev" me parait surchargé de mysticisme et de religion, "Solaris", adaptation d'un roman de science fiction de Lem, projet sur lequel Tarkovski a fini par se rabattre car les autorités Russes refusaient tous ses autres projets initiaux, me parait quant à lui assez emprunté et inauthentique.

"Stalker", deuxième adaptation d'un roman de science fiction, toujours pour appâter la confiance des censeurs, me parait aujourd'hui plombé jusqu'à l'extrême limite possible par
une sinistrose et une désolation qui pour lui est le seul cloaque possible pour les mécréants.
Je regrette, cette mortification caricaturale m' a toujours paru très pesante, et épouvanter le spectateur en lui dépeignant un vide mortel, terrifiant, parce que sans Dieu, se révèle tout de même, sur la durée, assez assommant.

Tarkovski fut empoisonné jusqu'à la moelle de son être par la censure de son pays, et il dut se résoudre à s'expatrier, pour réaliser deux films de désenchantement et de renoncement, "Nostalghia" ( avec cette fastidieuse métaphore et interminable scène de la bougie) et "Le sacrifice", son chant du cygne, un éclaircissement plus ressenti dans son oeuvre, il me semble.


Je mets à part deux films, son premier, intéressant dans la mesure où son style si caractéristique n' apparaît pas encore, mais où précisément, il est encore relativement inconscient de lui même, "L'enfance d'Ivan" et ce grand film d'apesanteur mémorielle, "Le miroir", un songe, son film le plus fragile, entièrement autobiographique, prenant d'ailleurs parfois des allures de documentaire (quand il filme sa mère fumant sa cigarette face à la campagne, par exemple), film central, innocemment envahi par la grâce tant recherchée. Dans sa filmographie, la porte étroite, pour moi, se trouve ici.

http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/CAA7801492001/andrei-tarkovski-a-propos-de-son-film-le-miroir.fr.html


Ces lignes ne vont certainement pas me rendre populaire, les pouces ne vont pas se lever en légions, mais je pense avoir choisi mes mots avec nuance.

***


Post Scriptum :

J'ai trop de respect pour toi,mon cher Andrei, pour laisser tes films aux mains d' admirateurs solennels, dêvots qui s'improvisent gardiens du temple et se chargent d'intimider ceux qui, déconcertés par l'étrangeté de ton regard, ne savent pas quoi penser. Ces zélotes t'auraient incommodé, je crois, (sans parler de tes soi disant héritiers ou disciples réalisateurs) et moi j'aurais aimé savoir ce que tu pensais de ce que je viens d'écrire.



Salut à toi mon pote.
Quantiflex
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le 4 oct. 2011

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Quantiflex

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