Le film a commencé depuis deux minutes et c’est déjà n’importe quoi ; il faut la voir, la penauderie de ce gamin achevant paisiblement son puzzle après avoir tué sa mère, l’hystérique qui avait trouvée la cachette de ses revues porno (on frise l’anachronie puisque nous sommes alors en 1942). Le Sadique à la Tronçonneuse est, de bout en bout, fidèle à ce qu’annonce sa genèse : c’est censé être glauque, mais ça oscille entre le burlesque involontaire et une violence excessive qui en font un spectacle souvent trivial mais tellement haut-en-couleur.

Vendu comme un ersatz de Massacre à la tronçonneuse (certaines déclinaisons du titre et la plupart des affiches tentent un rapprochement), Mil gritos tiene la noche est une série B italienne partagée entre le giallo et le slasher. C’est en quelque sorte un Bloody Bird du pauvre, mais néanmoins extrêmement débridé. Côté slasher, l’oeuvre flirte avec le teen-movie horrifique tel que les américains le propose à l’époque (l’intrigue se déroule autour d’une université), avec nudité récurrente (et une timidité moindre à celle du modèle US) et jeunes crétins (si crétines il y a, c’est mieux) envisagés comme de la chaire molle par un tueur assez insistant. Toutefois le film est davantage giallo dans ses sales manies ; éléments fétichistes lié à un trauma balourd et mal identifié (le puzzle du départ sera une balise et un pilier pour la mythologie perso du boucher à l’oeuvre), musiques kitschs (et souvent inappropriées – ou même simplement débiles), surenchère dans l’objetisation de la femme et le gore grand-guignolesque. Et, naturellement, tueur ganté, avec le petit chapeau de cuir pour l’originalité tout en restant conservateur ! C’est le traitement de la gent féminine qui trahit les origines culturelles du film ; ici les femmes sont toutes des dindes élancées, gentilles (spontanées et innocentes), sportives (équivalents de pom-pom girls zélées) ou glamours (femmes fatales discount, comme le personnage de Linda Day George).

La trame est désuète et on ne croit jamais aux personnages ni au scénario (du genre : on se fait rapidement une idée sur l’identité de l’assassin) dans lequel se sont infiltrées quelques incohérences mineures. Par ailleurs, Juan Piquer Simon a un étrange sens du rythme ; les péripéties sont trop ressérées au début, au point que la déferlante d’informations et d’idées-chocs tourne à vide. Mais la matière est là, criarde, brouillonne, sauf que celui qui a quelques notions dans le domaine du nanar transalpin sera gâté par tant de candeur trash. D’ailleurs, à la construction erratique, voir désagréable, du film se substitue une relative maestria lors des scènes sanguinolentes, Piquer Simon se sentant vraisemblablement plus à l’aise pour les éclats graphiques, largement plus valables que le récit qu’il doit supporter (même s’ils sont bien ancrés dans les 80s, les effets spéciaux n’ont pas volé leur couronnement au festival fantastique du Rex de Paris – 1983).

Il y a dans Le Sadique à la Tronçonneuse un côté bourrin plein de bonne volonté mais aussi d’inspiration ; l’originalité et le décalage des crimes sont remarquables et leur contexte souvent séduisant. De l’imagination (les meurtres "aquatiques" – les plus raffinés), quelques tranches de beauferie (humour potache rare mais néanmoins déplorable et surtout abus de "vous y avez cru hein" de petite catégorie), des longueurs certaines entre les performances, c’est vrai (mais somme toute assez peu) mais aussi quelques exploits nanardesques frontaux ("Bâtard !"), voilà ce qui fait de ce film un parfait et sincère "plaisir coupable".

En dépit de dernières secondes d’une absurdité gratuite mais exemplaire, le final est plutôt niais et décevant, consacrant subitement Mil gritos tiene la noche en pastiche d’un cinéma plus "grand", plus voluptueux, mais tout aussi obscène et grandiloquent (déclamé de façon expéditive mais révélateur, un petit couplet sur l’homosexualité comme névrose bourgeoise voisine de maux plus directement pathologiques – on est en pleine caricature et Juan Piquer Simon délivre un sous-Ténèbres au moment même ou Argento sort ce dernier). A ce moment plus que jamais, Le Sadique est ramené à sa nature profonde de giallo américanisé, avant de se conclure sur une bouffonnerie digne de son titre français, mais lui ôtant définitivement toute crédibilité. Un produit à consommer pour ce qu’il est donc, c’est-à-dire le support globalement stupide de scènes de meurtres spectaculaires, généreuses tant par leur récurrence que leur inventivité.

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le 26 mai 2014

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Zogarok

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