Le samouraï. L’un des meilleurs films de samouraï. Mon préféré de Melville. L’une des meilleures prestations de Delon. Chef d’œuvre du film noir (à la française), genre américain par essence, qui vire du noir, au gris parisien. Ça commence dans un petit appartement austère et crasseux. Et les piaillements d’un canari en cage ; le son sera primordial dans ce film. Et je dis son, je devrais dire : bruitage. Un homme couché sur un lit, raide comme un cierge de Pâques. Déjà mort ? Non. Son seul compagnon, ce canari, dont les sifflements couvrent à eux seuls, les bruits de la vile qui s’éveille dehors.


La voie du samouraï, c’est celle de la solitude. Et ce film a beau être en couleurs, on jurerait du noir et blanc. C’est ramassé, éteint, sourd, terne. Un film qui a horreur de la lumière du jour, ou de la nuit. Il préfère l’entre d’eux.
Triste est la vie du samouraï. Courir de contrat en contrat, selon une procédure rodée, et éprouvée. Jef Costello, c’est un professionnel aguerri, un quidam en chapeau mou et pardessus, inscrit sur aucun fichier, le parfait fantôme, ange exterminateur employé par la pègre locale.


Un meurtre dans un club de jazz, et la police est sur les dents. François Perrier, (excellent en commissaire divisionnaire), se méfie. Ce gars, ce Jef est trop parfait. Son alibi est parfait, ses arguments parfaits, pourtant il correspond au profil du suspect. Une confrontation est organisée dans les murs du commissariat. Un dédale, un labyrinthe, des bureaux, une cage. Jef reste calme. Il sait qu'on n’est jamais sûr d’un témoin oculaire, même quand il était à moins d’un mètre du tueur. Pourquoi ? D’abord parce que c’est vrai dans les faits. Souvent les témoins se rétractent, quand ils se rendent comptent des conséquences, ou des risques encourus. C’est lui, pas lui. Oui. Non. Peut-être. On n’est jamais sûr de rien. Et ensuite parcequ'on est dans un film noir. Et le monde est tout gris.


La collusion habituelle entre flics et voyous, est remplacée ici par un traitement réciproque pour la police, et la pègre, mis à égalité devant la caméra. Deux côtés d’une même pièce de monnaie. Et personne ne semble être « clair », dans cette boîte de jazz. L’organiste, (une beauté d’ébène), la petite amie (une blonde), tout le monde est un peu gris, voire plus. Á part Le commissaire qui veut faire tomber ce Costello. C’est lui, il est en sûr. Maintenant, il s’agit de le presser pour qu’il fasse une erreur. Et la chasse commence.
Les commanditaires du crime, de leur côté prennent peur, et essayent de tuer Costello. Erreur ! Il devient rônin, et se retourne contre ses anciens maîtres et employeurs. Sauf que celui qui a envoyé un tueur à ses trousses, c’est qui ? Un nom, caché derrière un nom, caché derrière un autre tueur. La course commence.


Melville nous offre sa lecture du Bushido, re-contextualisé dans le cadre français d’après-guerre. L’Art de la guerre, c’est un livre universel, à lectures et entrées multiples. Paris, un théâtre toujours gris, qui vit la nuit, peine à s’éveiller le jour. Un imper, un chapeau mou, des chaussures qui claquent sur le pavé. (Très important, le son). Une sécheresse des dialogues. Le langage ne sert plus à grand-chose. Et la cavale sans issue du samouraï, cerné de tous côtés. Superbe figure cinématographique. Héros moderne, condamné d’avance, rouage d’une histoire qu’il ignore, (il ne connaît même pas le gars qu’il a tué, ça ne l’intéresse pas). Un monstre froid de discipline, d’équilibre, de mutisme, et sans arrière-pensée derrière. Une icône à elle toute seule, pour un Delon qui touche au but. Le rôle parfait pour lui. Il marche comme un métronome, il est prudent comme un renard, tire plus vite que Lucky Luke, (grâce au montage, clin d’œil malin), tout en équilibre mécanique, qui donnerait presque le vertige.


Des seconds-rôles presqu’aussi muets que le samouraï, comme si le langage était devenu carrément obsolète. Échec au langage. Le piaf dans sa cage, parle plus que tout le monde, et le piège se refermera. Un monde fait de solitudes, de contrats, d’intérêts contraires. Un monde où la technologie elle-même, est mise en échec. Inefficace. L’épisode du micro-émetteur espion qui fait un flop, ou la filature dans le métro, avec des flics équipés d’un système au gallium (?), qui fait flop aussi. Et le commissaire qui enrage. L’homme blessé passe entre les mailles, la foule, les indics, la traque. Ce Costello, c’est un vrai caméléon. Il sait se fondre dans la foule, reste de marbre blanc. Et réapparaît ailleurs, comme un rat. Filer. Et le samouraï que l’on pourrait croire fou, au lieu de fuir, se jette dans la gueule du loup. Mais il n’est pas, fou. Il a seulement choisit son destin, et sa fin.


Melville purge le genre de tout son jus, et garde l’essentiel. L’ambiance délétère, qui ne laisse personne indemne, tous écrasés par un dépoussiérage formel, une histoire creuse, qui abolit même le suspense. Seul reste la règle. Chacun fait ce qu’il a à faire. Aveuglant formalisme, qui peut rebuter, il est vrai. On obtient un objet curieux, artificiel en diable, du baroque repenti. Une mécanique d’horloge, belle et glaçante à la fois.

Angie_Eklespri
10
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le 17 janv. 2017

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Angie_Eklespri

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