Vieillot et démodé, une oeuvre charnière du cinéma de Jean-Pierre Melville

Le samouraï ...des temps modernes agit comme il l'entend. Il se déplace quand il veut. Où il en a envie. Prend pour cible une personne au hasard (par exemple, le patron d'une boîte de nuit). Sans savoir ni pourquoi ni comment. Il la tue selon un protocole bien établi. Il sort son pistolet comme un samouraï son épée. Le rengaine à l'intérieur de son veston, chapeau sur la tête. Son devoir accompli, il revient sur ses pas (en rencontrant une pianiste feintant ne pas le reconnaître en salle d’interrogatoire. Salle à la "Usual suspects" pour comparaison.). Tel est l'enjeu du métrage "Le Samouraï" (1967) de Jean-Pierre Melville, tout juste sorti d'un "Deuxième souffle" en compagnie de Ventura. Le scénario, écrit au millimètre près par un Melville au sommet, promet de très belles choses, notamment l'esthétique (le rôle campé par Delon ainsi que les décors très bien filmés), tout comme l'ambiance générale. Hélas, 48 ans après sa sortie, les espérances tant attendues sont certes très bien recherchées pour l'époque, mais montrent aujourd'hui les deux points faibles du film melvillien que "Le samouraï" était. Le premier point faible, c'est donc Alain Delon (pourtant déjà star ! : remarqué chez Gaspard-Huit, Visconti, Antonioni, Clément) campant ce tueur à gages implacable. Sans doute que la direction d'acteur de Melville était parfaite sur le moment mais paraît complètement ridicule en 2015. Il y a aussi la façon dont Delon joue qui fait qu'on décroche assez rapidement du métrage. Un regard vide, un visage blafard, des phrases certes assassines pour hier qui font décrépies aujourd'hui. Je m'attendais à un grand Delon (un certain rôle de composition à la "Monsieur Klein" ou "Rocco et ses frères") et finalement j'attrris en terrain inconnu. En plus, le personnage qu'il incarne a fait les beaux jours des tuurs à gages modernes (Woo, Mann, Jarmush et Johnny To avouent s’inspirer de cette œuvre pour leur films respectifs). Melville a épuré ce que ses admirateurs ont sublimés (certains plans font d'ailleurs penser à certains films cultes d'aujourd'hui). C'est pour cela que je tenais à donner mon opinion Delon. Le second bât qui blesse, c'est bien sûr cette mise en scène décalée qui prend bien le temps d'encadrer Delon ou tout autre personnage. Un coup, un plan large qui se resserre sur la nonchalance d'Alain le beau gosse, et l'autre coup un travelling arrière dégrossi qui encadre Delon dans le champ. De plus, cette lenteur n'est accompagné par aucune musique, ce qui renforce cet aspect ancien, à la Melville. Ce qui avait, par ailleurs, beaucoup mieux marché sur "Le doulos" à mon goût car nous nous sentions accusé de quelque chose. Ici, rien. Ou alors Delon, Delon... ou encore Delon. Pff... . Aux côtés d'Alain tout jeune, un François Périer (l'éternel second rôle : "Hôtel du Nord" de Carné, "Orphée", "Max et les ferrailleurs"...) à l'aise et convaincant à souhait dans la peau du commissaire. Pour terminer, "Le samouraï", vieillot et démodé, a fait les beaux jours de la bande de cinéastes qui ont commencé leur carrière à la fin des 70's (Woo, Jarmush, Too, Tarantino...). Une œuvre charnière du septième art en somme. Pour une culture cinématographique complète. Indéniablement. Spectateurs, pour la forme, prenez le maquis tout comme la piqûre melvillienne. Aïe !

brunodinah
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le 18 juin 2019

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