Le Seigneur des Anneaux - La Communauté de l'anneau par Kliban

Pourquoi pas 10 ? Ce sera la question que je me poserai à chacun des films de la trilogie. Une réponse commune - que je ne répèterai pas - : parce que le choix de Jackson de tout miser sur le visuel rate une part importante quoique subtile de l'œuvre de Tolkien : le mal dans son essence n'est pas visible, mais peut être ressenti, comme un ombre sur le cœur. Or le mal chez Jackson reste encore trop visible, trop manifeste. Les Nazgûls sont, de ce point de vue, un échec total. Ce n'est pas le seul. Mais il y a tout de même des réussites spectaculaires - précisément - et je ne vais pas mâcher mon plaisir : les versions longues des trois films restent, dans leur globalité, ce qui s'est fait de mieux en matière d'adaptation du SdA.

Donc, la Communauté de l'Anneau. Sans doute mon préféré. Les paysages, la Comté, Aragorn, Bree, Rivendell, etc. Qu'est-ce qui ne marche pas ?
Les Nains. Je déteste les nains de Jackson. Les Nains de Jackson sont au SdA filmé ce que les Ewoks sont à Star Wars. Ridicules, patauds, colériques, vantards, là où ils eussent dû se montrer fiers, endurants, ombrageux mais courtois, secrets. Bref, juste bons comme faire valoir.
Les Nazgûls, comme je l'ai déjà dit - jamais, mais vraiment jamais inquiétants, au point qu'un hobbit à pied leur échappe alors même qu'il se trouve sous les pattes de leurs chevaux.
La tronche d'Elrond. Bien joué - sauf quant il nous hollywoodise "You shall be the Fellowship of the Ring" au cas où les spectateurs morons n'aient pas compris. Mais pas la tête d'un elfe. Bon. C'est pas très grave ça.
Plus grave : les elfes. Le comportement des elfes de Rivendell, c'est comme les nains : c'est du Donjons et Dragons, pas du Tolkien. Cette idée d'une séparation entre les races est bien dans Tolkien, mais pas à ce niveau de platitude. Car chez Jackson, on a l'impression de grandes constantes racistes - qu'on retrouve aussi chez Tolkien, dans la bouche de certains elfes, Arwen elle-même (si, si, lisez les Appendices) - alors qu'il s'agit plus subtilement de méfiances acquises par l'histoire. Je ne dis pas que cela ne marche pas dans le film, et, assurément, Jackson construit un univers qui fonctionne. Mais, subtilement, ce n'est pas _du tout_ celui que Tolkien a créé.
Autre truc qui ne passe pas : Saruman à la botte de Sauron. La complexité du jeu politique totalement aplatie par l'idée qu'il faut qu'il n'y ait qu'une seule source du mal. Or, c'est vrai, il n'y a chez Tolkien qu'une seule source du mal. Elle s'appelle Morgoth, elle n'est plus dans le monde au moment des événements du SdA, mais elle a laissé son essence dans le monde. Cette essence se manifeste sous différentes formes, toujours prompte à corrompre de nouveaux être - le pouvoir de l'Anneau fonctionne ainsi. Et donc Saruman n'est pas corrompu aussi directement par Sauron. Il est trop grand et puissant pour cela. Mais il est corrompu par sa fréquentation des choses de l'Anneau, l'utilisation du palantir - qui n'est pas directement relié à Barad Dur - et sans doute aussi son goût pour la technique, qui prime sur son respect des hommes - Sauron et Saruman sont deux Maia d'Aulë, le grand technicien des Terres Immortelles. Bref, un Sauron à la botte de Barad Dûr, qui commande les tempêtes sur Caradhras, bon, ça m'a un peu défrisé.
Aragorn refusant la royauté, c'est un peu forcé aussi. Pas possible pour une descendant de roi Numénoréen chez qui on dit voir revivre la grandeur de ses pères.

Bon je dis pas que ça marche pas. Mais c'est pas Tolkien, c'est tout.

Mais tout le reste est assez bon, et c'est, je trouve, le mieux construit des trois. certaines scènes sont sublimes - passage des Elfes vers les Hâvres Gris, Balrog de la Moria, Apparition de Galadriel (à oui, la scène du miroir, bon, voilà quoi, c'est raté, ça aussi). Dissolution de la Communauté avec la lente désagrégation de Boromir.

PS - plus le temps passe et plus je descend mes notes sur ces films, qui ne sont décidément pas vraiment fidèles à l'univers de Tolkien - ils en dérobent et détournent la lumière (décors et décours narratif) mais presque jamais ne la laissent diffuser - interprétation superficielle, donc, qui doit plus à D&D et ses lancers de nains qu'à quoi que ce soit d'Eressëa.