"Le soldat yakuza", où la violence du même.

Comparé à certains chef-d’œuvres de Yasuzo Masumura (en particulier le sublime "L'ange rouge"), "Le soldat yakuza" est un film marqué par une exagération prononcée. On sait la capacité de Masumura à atteindre, aux confins des années soixante, un registre loufoque et biscornu ("La bête aveugle" en est l'emblème), mais avec ce film de guerre, il arrive déjà à porter son sujet à un degré de délire profond, liée à l'ultra violence qui le parcourt. Jalonné de séquences proprement sadiques (on humilie à tout va à coup de gifles, de coup de poing), le film ne fait vraiment pas dans la dentelle. La violence est telle qu'elle est prend parfois des airs hyperréalistes.
La boucherie, en tant que tel, n'est pas liée à l'ennemi (invisible, son étau finira toujours par se resserrer), mais à l'enfermement dans un camp militaire coupé de tout, où tous les débordements deviennent possibles. A peine cherche t'on à se raccrocher à une prétendue règle pour limiter la violence (les anciens doivent respecter les plus âgés, les plus gradés doivent allégeance aux plus anciens dans le camp). Tout une tissu de conventions volent progressivement en éclat, du fait même de cet enfermement étouffant et dégradant. Une scène emblématique à cet égard, qui cristallise cette attention aux conventions, et la manière dont elles se retournent : un soldat a lavé son linge dans le bain commun, espace dans lequel (vivace encore de nos jours) on doit entrer nu après s'être lavé. Le contrevenant est roué de coups par un supérieur. S'ensuit une révolte d'Omiya, joué par Shintaro Katsu, qui rosse à peu près tout le monde dans une séquence ahurissante dans et autour du bain commun, où tout les acteurs sont nus.
Le sadisme est lié aussi à la manière dont s'organise la répartition de la violence : ainsi Arita, chargé de s'occuper du rebelle Omiya, à chaque fois que ce dernier est en difficulté, joue de son statut pour rééquilibrer les forces et permettre à Omiya de mener à bien sa revanche. Et les règles qui servent à réguler la violence permettent tout autant de la mener à son extrême, en justifiant, dans les affrontements, l'équilibre du duel. Position foncièrement perverse de Arita (retourner la violence subie par l'autre pour en jouir en tant que spectateur) qui prend une allure voyeuriste lorsqu'il s'immisce dans la chambre de la prostituée à laquelle Omiya s'est liée, pour finalement se retrouver exactement dans la même posture d'amant.
Entre Omiya et Arita, il y a un jeu d'interchangeabilité qui fait que, quand l'un est rossé, l'autre cherche à le défendre ; quand Omiya est puni par Arita en recevant un coup de bâton, Omiya finira par battre Arita pour échapper à un départ en cuirassé. Entre les deux hommes, l'amitié, dans ce genre de conteste où l'on doit rester soudés, n'est pas sans se teinter d'homosexualité latente. C'est cette ambiguïté qui parvient finalement à faire du "Soldat yakuza", à côté de sa violence débridée, un film intrigant.
JumGeo
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le 8 févr. 2014

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