/!\ Cette critique ne comporte pas de spoiler explicite, mais si vous êtes intéressés par Le souffle, je vous encourage à le voir et vous déconseille de lire quoi que ce soit sur le film et même de voir la bande annonce. /!\
Le souffle est le genre d'œuvre à apprécier dans sa globalité et à reconsidérer après visionnage. Par sa beauté silencieuse, sa portée universelle et sa poésie omniprésente, elle captera les regards. Par sa musique délicate et ses sonorités quotidiennes, elle apaisera et rassurera le spectateur. C'est ainsi que nous nous laisserons guider par la caméra d'Alexander Kott au travers des steppes Kazakhes et apprendrons à connaître, sans un mot, la vie harmonieuse d'un père et sa fille dans un monde à part, radicalement isolé du reste de l'humanité. C'est dans ces étendues désertiques que naîtra le premier souffle : naturel, humain ou animal ; parfois mécanique, mais toujours placide.
Filmer la vie de cette petite famille de façon uniquement visuelle, en bannissant tout dialogue : la démarche du cinéaste Russe peut paraître au premier abord sévère, mais ce parti pris est finalement loin d'être gratuit ou inutile. En effet, Kott nous prouvera que l'utilisation des mots n'est pas le moyen le plus efficace pour marquer les esprits face à la gravité du propos tenu.
Ici, la seule contemplation fera foi pour alimenter notre imagination et notre implication dans le récit. La découverte visuelle des êtres et de leurs états de conscience sera lente et parfois laborieuse, mais permettra un attachement et une identification plus authentiques que si cette découverte avait été verbale. Même si la beauté décrite semble parfois factice ou trop fabriquée, desservant quelque peu les authenticités relationnelles entre les personnages, elle n'en restera pas moins touchante.
Toutefois, c'est en distinguant peu à peu les traits d'une atmosphère oppressante, bousculant l'harmonie installée, que nous comprendront que l'intérêt du film ne reposera pas entièrement sur la simple esthétisation d'une histoire d'amour naissante. Face à cette menace difficilement discernable, introduction d'une violence insondable, nous tenterons d'abord l'abstraction et l'ignorance en nous rattachant autant que possible au regard lunaire de Dina. Un regard reflétant la naissance d'un désir lancinant et sensoriel ; la découverte grandissante de l'esprit et du corps. Car c'est dans ces yeux fragiles et indécis que vivra le second souffle : celui de l'âme qui se dévoile et de la conscience qui émerge.
C'est finalement après avoir suffisamment pris le temps de fabriquer ces univers flegmatiques que Kott nous dévoilera clairement la réelle ambition de son œuvre. Les indices dissimulés ça et là s'assembleront jusqu'à témoigner du déséquilibre inévitable et imminent des éléments. C'est alors par un ultime souffle, cette fois inhumain que seront anéanties les espérances innocentes d'une sérénité devenue rare. C'est de ce même souffle qu'émanera un silence éternel et absolu devant lequel même le Soleil ne se lèvera plus. Une dernière scène déstabilisante et un dernier message qui nous amèneront à la reconsidération et la réinterprétation totale de l'œuvre, devenant la piqûre de rappel d'une époque sombre malheureusement passée sous silence.