Un homme émerge de l’eau, porté par l’écume de la mer, plus nu qu’un poisson. « Naissance de Vénus » au masculin... La curiosité du spectateur est d’emblée hameçonnée...


Dès lors, ce sixième long-métrage de Kôji Fukada suit le fil d’une double interrogation : qui est ce beau naufragé (Dean Fujioka) échoué sur une plage d’Indonésie, comment et pourquoi est-il arrivé là ? Longtemps mutique mais semblant ne comprendre que le japonais, il se révèle capable de s’exprimer tout aussi bien dans la langue du pays, devant la détresse humaine, ou encore sa fourberie... Autre étrangeté : des miracles, généralement bienfaisants, s’accomplissent sous la seule action de sa volonté ou au bout de sa main étendue (passe ici le souvenir du Dieu de Michel-Ange, dans « La Création de l’Homme »...). Qu’a-t-il vécu, qu’a-t-il affronté, à quel tsunami a-t-il survécu, pour se voir doté de tels pouvoirs ? Le film progresse ainsi, sur le fil du fantastique, s’accordant au passage le temps de contempler de somptueux paysages marins, tout aussi bien que des intérieurs harmonieux ou des visages dont la beauté et le sourire, tantôt radieux, tantôt énigmatique, emmènent loin...


L’autre visage exploré comme un paysage, par tous les temps et dans tous ses états météorologiques, est celui de la très jolie Junko Abe, qui prête ses traits délicats à une jeune Japonaise, arrivée, quant à elle, par les airs, pour éparpiller en Indonésie les cendres de son père, dans une baie qu’il lui faut identifier et retrouver à l’aide d’une simple photographie ancienne. Telle est l’autre quête, radicale, qui vectorise le scénario et provoque la rencontre de la jeune femme, constamment lestée du petit sac-à-dos rouge qui porte la poussière paternelle, avec le bel inconnu naufragé et thaumaturge, surnommé Laut (« la mer »).


Le thème de l’événement traumatique, de la faille qui vient marquer le destin, parcourt presque toute la filmographie de Fukada : Fukushima ou toute autre catastrophe nucléaire dans « Au revoir l’été » (2013) et « Sayonara » (2017), l’expérience de la prison et de ce qui y a conduit dans « Harmonium » (2017), ici la guerre, le tsunami, le deuil. Le fantastique croise ainsi le psychologique : serait-ce la traversée d’une expérience limite qui décuplerait les forces de vie, comme une plante fragilisée renforçant le réseau de ses racines ? Est-ce pour avoir fait l’un et l’autre l’expérience d’un tel franchissement qu’une si profonde compréhension se tisse secrètement entre Laut et la jeune Japonaise ?


Ce sens du tragique n’oblitère pas une viscérale capacité d’émerveillement, qui explose dans la beauté des images, dans les discrètes références picturales ou dans l’évocation très délicate d’un amour naissant : une légèreté est ainsi amenée par les scènes à la fois drôles et touchantes dans lesquelles l’amoureux muet de l’arrivante, incarné avec beaucoup de sensibilité par Adipati Koesmadji, tente quelques approches, aussi timides et maladroites qu’ardentes et enflammées...


D’où la déception, lorsque s’évanouit ce séduisant mirage lors des scènes finales, soit obscures (un brusque retour vers l’enfance, des enfants morts...), soit versant dans une symbolique christique tristement banale avec une marche sur l’eau... C’était donc cela ?...


Il faut une décantation, un temps de recul après que le spectateur a aussi piteusement bu la tasse, pour que réaffleure le souvenir des moments d’élation permis par cette histoire où terre et mer, réel et fantastique s’interpénètrent si étroitement et pour notre si grand plaisir...

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le 20 août 2019

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Anne Schneider

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