Il y a comme une forme de soulagement à s’extirper enfin de son canapé plus ou moins confortable pour se dégourdir enfin les jambes loin des reliefs du pique-nique et des cadavres de bouteilles qui traînent après une projection du Tango de Satan…

De ce fait, il n’est pas impossible que le spectateur qui vient de subir 7h30 de pas grand-chose de racontable en vienne à valoriser plus son effort que le film en question, d’où les notes un peu surréalistes que vous trouverez ici ou là… Moi-même, n’ai-je pas promis, dans un élan de folie et de bonté inhabituelle devant les yeux émerveillés de Flagblues de donner au film une note qui me parait aujourd’hui en totale inadéquation avec ce que j’ai pu ressentir ou penser du film ?

Si vous ajoutez à cela quelques bouteilles de vin vieux, l’accueil toujours charmant d’Adobati et une jeune voisine éphémère qui ressemblait à Suzanne Pleshette, vous comprendrez assez vite que cette brève perte de lucidité n’avait pas grand-chose à voir avec la qualité de l’œuvre… A noter tout de même que la fin est infiniment plus jouissive que le reste, avec en particulier une séquence policière assez hilarante qui utilise habilement tout le mal qu’on pense depuis le début de la troupe de dégénérés que l’on subit pendant les sept premières heures… De toutes façons, arrivées là, j’ai presqu’envie de dire que les premières heures sont digérées et oubliées avec une facilité déconcertante…

C’est peut-être aussi qu’à aucun moment donné, je ne me suis réellement intéressé à ce qui se passait (pas grand-chose me direz-vous, c’est peut-être justement là le problème…), je ne me suis pas ennuyé plus que ça non plus, d’où cet avis neutre et mesuré qui, je le précise à toutes fins utiles par tendresse pour les araignées et les amateurs de Béla Tarr, est un bon gros 6 généreux et bedonnant et non pas un 6 étique et tremblotant.

Parce qu’il faut bien le dire, si ce genre de long-métrage concerne a priori avant tout une minuscule partie des spectateurs, je suis en plein dans la cible visée (les autres ne le verront de toutes façons jamais, d’où, encore une fois, la moyenne absconse des Béla Tarr sur le site). Moi, 7h30 de film hongrois en noir et blanc avec pas plus de 150 plans et essentiellement des plans-séquences à rallonge à la photographie soigneusement composée, bizarrement, ça me parle. Je n’ai d’ailleurs aucun problème avec les films longs, seuls les films idiots m’emmerdent, prenez Barberousse, par exemple, si le film durait 12 ou 13 heures, je serais l’homme le plus heureux du monde, je ne veux jamais quitter cet hôpital et il y aurait encore mille choses bouleversantes à raconter…

Je pars évidemment du principe que quand on se lance dans un projet aussi massif, il faut le justifier en réalisant le plus beau film du monde, en racontant des choses passionnantes, sinon, c’est juste que le type qui se branle devant vous a une vocation de peine-à-jouir, et j’ai connu des moyens plus palpitants de passer mon temps que d'observer minutieusement tous les cheminements laborieux de sa besogne…

Or, comme à l’ordinaire, ou du moins comme les deux autres adaptations de László Krasznahorkai que j’ai pu voir avant, Damnation et les Harmonies Werckmeister et pour les critiques desquels je m’étale probablement un peu plus sur ce qui me dérange dans le cinéma de Béla Tarr, ne voulant guère me répéter une fois de plus dans cette chronique, or, donc, comme toujours, Béla nous assomme de ses plans artificiels savamment calibrés autour de marionnettes désarticulées filmées comme au jardin d’acclimatation et il oublie une fois de plus de raconter quelque chose au creux de son décor mort…

S’il est parfois difficile d’adapter un long roman en film il est encore plus difficile d’en adapter un très court en fresque interminable.

Alors, du coup, l’esprit vagabonde, d’ailleurs l’assistance aussi, ce qui n’aide pas toujours à part ma sage banquette bien sûr et celle tout au fond, dont je salue au passage les usagers studieux. Encore une fois, le monde qu’essaie de me montrer Béla Tarr ne me concerne pas, je n’y trouve rien pour m’y accrocher, pas d’humanité cachée chez ces veaux et ces pourceaux d’exposition, même un peu, et je vous le répète, moi, voir un type passer une heure à remplir une carafe avec sa dame-jeanne pour remplir son verre avec sa carafe, ça ne me dérange pas plus que ça, je voudrais juste que ce soit pour servir une histoire et pas seulement faire passer le temps…

A un moment, le compositeur du film joue les méchants christique et ça continue à m’en remuer une sans faire bouger l’autre, à la place, je me demande pourquoi la scène fondamentale de beuverie et de chansons est tournée en post-synchro amateur… A quoi bon exhiber sa virtuosité filmique si on ne peut pas participer au banquet pour cause de décalage impromptu et d’absurdité sonore ?

Ce n’est même pas trop grave en fait, on regarde tout ça poliment, c’est d’ailleurs toujours la même chose, c’est-à-dire presque rien, il y a Ado qui se sauve deux fois pendant la scène du chat, ce qui m’a un peu coupé la tension et l’attention, il y a des vaches, des araignées que je rate d’une seconde parce que ma vessie de petite fille de quatre ans craque toujours deux minutes avant les changements de disque et on apprend qu’il faut soigneusement casser ses meubles quand on déménage à cause des gitans, c’est bon à savoir dans les coups durs…

Je continue à trouver la mise en scène d’une artificialité à peine défendable, avec ses animaux-pantins décédés sur pieds qui attendent sans bouger de longues minutes que le plan se termine et je n’arrive absolument pas à concevoir que ce genre de film puisse émouvoir qui que ce soit, mais j’avoue aussi que ça m’indiffère beaucoup…

Et puis finalement, c’est un peu dommage de perdre 7h30 de son temps pour un film dont on a absolument rien à dire en en sortant, je crois qu’il y a quelques milliers de films un peu vivants qui mériteraient plus assurément d’user le vôtre…
Torpenn
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le 11 déc. 2013

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Torpenn

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