"Viens petit. Un simple commissaire n'a plus rien à faire ici."

Caméra frontale. L'infirmier referme la porte sur le Professeur Baum. L'infirmier referme la porte sur nous. Et nous, spectateurs, nous retrouvons dans le noir. Dans le Noir.


L'affaire est élucidée. L'affaire n'est pas élucidée.
C'est la lutte de la Raison incarnée par le commissaire Loohmann, contre la déraison, incarnée par le Docteur Mabuse, ou devrais-je dire, par le Professeur Baum.


A plusieurs reprises, le personnage de Kent se demande, et demande aux autres "Pourquoi ?". Il cherche à comprendre les agissements du chef de la section: dans quel buts mène-t-il tous ces crimes ? Il cherche une finalité pratique à ces crimes. Mais il n'y a pas de finalité pratique. Il n'y a peut-être même pas de finalité tout court pour le Professeur Baum. Ces crimes sont absurdes car il sont guidés par une puissance nocturne extérieure qui s'exerce à travers le Professeur. Cette puissance horrifique vient du Docteur Mabuse. Quel est donc son but, à lui ?


La Raison (Loohmann) nous dit de Mabuse: "c'est un fou". La déraison (Baum) nous dit: "c'est un génie". Deux valeurs s'affrontent. Deux compréhensions du crime qui ont toutes deux une certaine légitimité.


Peut-être est-ce le Mal. Le Mal en soi, le Mal pour le Mal, le Mal comme unique finalité.
Le Mal comme moyen de lutter contre un monde qui va à sa déchéance. Dit comme ça, la cause semble noble. Détruire le monde avant qu'il ne se détruise lui-même. Le Docteur Mabuse était peut-être un visionnaire. Peut-être qu'il était fou du devenir destructeur du monde; de la puissance destructrice du monde, qui réside en puissance dans ce qui compose le monde moderne: les voies ferrées, les usines chimiques, les banques.


Il y a aussi la Voix. La voix qui porte l'homme mais qui n'est que mensonge. La voix du Chef, ce n'est pas la voix de Baum, ni celle de Mabuse. C'est la voix d'un automate, c'est la voix déshumanisée. C'est le mensonge universel , l'homme-machine à l'illusion parfaite. Problématique de l'homme-machine, de l'automate que l'on retrouve aussi dans Metropolis.


Et l'amour dans tout ça ? Problématique secondaire, intrigue superficielle ? Non. L'amour est ce qui dévie Kent du mensonge, de la déraison. Et pourtant, l'amour ici est déraisonnable. Kent déploie à Lili toutes les raisons qu'elles aurait de fuir: il a menti, il a fait de la prison, il a tué, il a tué deux personnes, il a tué des amis. Chaque fois, le même discours de la part de la femme qui aime d'un amour pur, déraisonnable et hors-norme; au sens le plus strict du terme: "ça m'est égal". Aucun échelle de valeur n'est accordée à ce que Kent est, ni à ce qu'il fait, ni à ce qu'il a fait. Sa réaction est presque automatique, le personnage est presque un Automate de l'amour. Ce personnage est à mon sens aussi effrayant que le Docteur Mabuse.


Pour terminer, mention spéciale au commissaire Loohmann, mention spéciale aussi à l'image épatante, mention spéciale à la lumière tellement subtile, mention spéciale à la course poursuite version années 30, mention spéciale au format du film (j'ai l'impression de porter un toast).

Horchata
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le 22 janv. 2016

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Horchata

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