L’expérience est un atout. Ce n’est pas la présence de Marco Bellocchio, avec plus de cinquante ans et une vingtaine de métrages à son actif, en compétition au Festival de Cannes, qui nous fera dire le contraire. Une présence d’autant plus agréable tant le cinéma italien semble peu présent sur nos écrans et en manque d’auteurs majeurs pour lui redonner du souffle. Avec Le Traître, voici un de ces films qui enrichit encore un peu plus cette compétition déjà incroyablement relevée, alors que celle-ci s’achève très bientôt.


Le démarrage du Traître rappellera, forcément, à ceux qui l’ont vu, celui du Parrain. Bien entendu, les deux introductions sont loin d’être identiques sur la forme, le film de Coppola mettant en scène un mariage quand celui de Bellocchio montre une simple fête. Cependant, dans l’intention et dans l’intérêt, elles se rejoignent, en montrant tous ces individus vivant dans le faste, entre amis et en famille, permettant de se familiariser avec ce microcosme fondant sa richesse sur des marchés sombres et parallèles. Bellocchio propose de raconter une histoire vraie, celle de Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, qui fuit au Brésil pour éviter les tensions qui menacent l’organisation, et qui se retrouve extradé en Italie, où il décide de témoigner face au juge Falcone. Une histoire de mafieux pas comme les autres.


Car s’il est bien question de mafia dans Le Traître, Marco Bellocchio ne cesse, pendant 2h20, de casser le mythe du mafieux, de briser l’image de ces figures charismatiques en les mettant dos au mur. Puissants, dangereux, ils doivent, suite aux témoignages accablants de Tommaso Buscetta, se montrer sous leurs vrais visages, des lâches, des couards prêts à tout pour garder leur part du gâteau et se sauver. Bellocchio utilisera d’ailleurs, à un moment, l’image d’une hyène pour répondre à celles de ces mafieux, pour illustrer leur perfidie et leur cupidité. Une situation d’autant plus étrange que le véritable traître, dans l’histoire, c’est bien Tommaso, qui, pourtant, est perçu par le spectateur comme un homme intègre et droit dans ses bottes, que l’on veut défendre. Tout le jeu de Marco Bellocchio dans Le Traître tourne autour de la question de la fidélité et des valeurs, n’hésitant jamais à faire douter le spectateur pour donner plus de consistance à ses personnages.


Une démarche servie par un montage intéressant et intelligent, comme l’introduction d’images d’une hyène citée plus haut, ou encore l’introduction de scènes imaginées directement reliées à la réalité, pour suggérer un état d’esprit et sortir de la simple restitution des faits tels qu’ils ont été. Car, pour le reste, Le Traître reste relativement classique sur la forme, bien que très bien maîtrisé, avec cette longue intrigue s’étalant sur vingt ans, permettant de suivre l’évolution des différents personnages, et de les faire passer par tous les états. Et le film de Marco Bellocchio a aussi le mérite d’aborder cette histoire de mafieux d’une manière différente, réduisant les règlements de comptes violents à coups d’assassinats pour privilégier les confrontations verbales, jouant sur la force des mots plus que sur celle des balles.


Le Traître est un des bons crus de ce Festival de Cannes 2019. Probablement pas la Palme d’Or, mais un très possible prix d’interprétation masculine pour Pierfrancesco Favino qui incarne Tommaso Buscetta à la merveille et l’accompagne parfaitement dans son évolution. Marco Bellocchio illustre ici avec maîtrise la chute du mythe du gangster, celui de la toute puissance et de l’impunité de la mafia, faisant d’un traître un homme de principes face à une horde de hyènes affamées. Une belle réussite qui permet, en plus, de montrer que le cinéma italien sait toujours offrir des films de qualité.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 25 mai 2019

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