Cinéphile, si tôt ou cithare, il faut que tu viennes !

LE TROISIEME HOMME (Carol Reed, GB, 1949, 104min) :


Coup de projecteur en trois axes sur Le Troisième homme de Carol Reed, un grand classique du film noir à la morale désabusée, dont le mythique air de cithare d’Anton Karas continue également d’envoûter par son amertume mémorable.

Biographie :

En dehors du cercle cinéphile, Carol Reed, décédé le 25 avril 1976 à son domicile londonien, n’a jamais jouit d’une grande notoriété. La reconnaissance de ses pairs n’est intervenue que vingt ans après la sortie du film Le Troisième homme. Lors de la 41e cérémonie des Oscars, à Los Angeles, et pour un film musical : Oliver ! Son adaptation du roman de Charles Dickens triomphe avec cinq statuettes, dont celles de meilleur film et réalisateur. Il faut attendre 1953 pour que l’Angleterre se mette au diapason : Carol Reed devient alors le premier réalisateur britannique à être anobli pour son œuvre. Une passion qui prend corps, via le théâtre, à la King’s School de Canterbury, en 1924. Au début des années 30, ce comédien se tourne vers le cinéma et devient l’assistant de David Lean, avant de passer derrière la caméra avec It Happened in Paris (1935), coréalisé avec Robert Wyler, et Midshipman easy (1935). Sa renommée grandit avec Week-end (1938), Sous le regard des étoiles (1939) et Train de nuit pour Munich (1940). Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert au sein du Service Cinématographique des Armées, réalisant entre autres L’Héroïque parade (1944). Après la guerre, il signe deux succès : Huit heures de sursis (1947) et The Fallen Idol (1948).

Outre Le Troisième Homme (1949) et Oliver ! (1968)sa carrière éclectique s'est développée avec entre autres films notables : Le Banni des îles (1951), L’Homme de Berlin (1953), L’Enfant de la licorne (1955), Trapèze (1956), Notre agent à la Havane (1959) et L’Extase, puis l’Agonie (1965), un portrait singulier de Michel-Ange. Ce n’est visiblement pas assez et Sir Carol Reed tombe dans l’oubli. Blessure amère pour cet enfant illégitime, né le 30 décembre 1906, à Putney (Angleterre). Le cinéma n’est jamais parvenu à panser cette plaie.


Contexte :

Le 8 mai 1945, le Troisième Reich signe sa reddition : elle met un terme à la Seconde Guerre mondiale en Europe. Deux semaines avant cela, l’armée soviétique a libéré Vienne du joug nazi. Même si un gouvernement provisoire proclame l’indépendance de l’Autriche, le contrôle des Alliés divise le pays en quatre zones d’occupation : soviétique, américaine, britannique et française. Juste après cet épisode, le producteur Alexandre Korda demande à l’écrivain Graham Greene d’écrire un scénario qui se déroulerait dans la Vienne d’après-guerre, «en le chargeant, comme la plupart de ses romans, d’implications métaphysiques», spécifie l’historien du cinéma, Claude Beylie. La réalisation est confiée à Carol Reed, qui a déjà adapté des scénarios de l’écrivain. Elle débute fin 1948 dans la ville même, où le cinéaste obtient grâce à Alexandre Korda une certaine liberté de tournage. Présenté au festival de Cannes en 1949, Le Troisième homme triomphe en remportant le Grand Prix (distinction précurseur de la palme d'or).


Désir de voir :

«Quand on a regardé Le Troisième homme, on a tous compris que ça allait être difficile de faire mieux», raconte le réalisateur et producteur Franc Roddam. Ce long métrage demeure une source inépuisable en ce qu’il permet «de voir les possibilités qu’offre la narration visuelle», confesse admirativement Martin Scorsese. D’autres s’y replongent, comme Orson Welles avec Mr Arkadin (1955) ou, plus récemment, Gus van Sant et son Mala noche (1985). La postérité de Le Troisième homme est névitablement associée à la cithare d’Anton Karas, musicien inconnu avant cela, entendu par Carol Reed dans un restaurant viennois. La cithare à la fois folle et enjouée développe au long de l’histoire un thème lancinant, obsédant, charmant, qui devient diabolique à mesure de l’intrigue, pour se muer en personnage à part entière, envoûtant. Cette bande-son originale apporte une tension constante, elle suggère que «tout peut arriver». Le cinéaste s’appuie aussi sur le brillant scénario de l’écrivain Graham Greene, narrant le destin d’Holly Martins, écrivain fauché de roman de gare, venu retrouver Harry Lime à Vienne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais quand on lui annonce que son ami vient de trouver la mort, Martins mène sa propre enquête et part à la recherche d’un fameux “troisième homme”, présent au moment des faits.

La densité du script, véritable exploration de la complexité des êtres, (trahisons, crime, histoire d’amour…) permet au réalisateur d’élaborer une mise en scène astucieuse. D’emblée, une voix off introductive (celle de Carol Reed lui-même) décrit Vienne occupée et délabrée, gangrenée par le marché noir. Mais l’innovation angulaire se décline de manière constante par l’utilisation abondante de cadrages obliques. Ces angles de vues inclinés, penchés, décalés, distordus, ces contre-plongées et ces mouvements instables de caméra illustrent un monde bancal qui tombe en morceaux. «J’ai filmé la majeure partie du film avec un objectif grand-angle qui déformait pour suggérer que quelque chose de travers se passait», explique d’ailleurs le réalisateur, influencé par l’expressionnisme allemand et le néoréalisme italien. Les jeux d’ombres et les contre-jours foisonnent. Quant au chef opérateur Robert Krasker, il sublime la photographie : pavés mouillés, rues obscures, ruines et égouts sont filmés par le réalisateur avec une pertinente profondeur de champs, dans une abondance de détails. L’interprétation magistrale de Joseph Cotten dans le rôle de Holly Martins, et l’implication d’Orson Welles dans celui d’Harry Lime, scellent ce succès. «J’ai écrit en grande partie le texte de Harry Lime,» rapporte même Orson Welles. Ces deux jeux d’acteurs, complémentaires, transcendent le climat de «guerre froide» mais soulignent aussi la présence sordide de la pègre cosmopolite au sortir de la guerre, pour faire émerger un cauchemar baroque nourri de scènes d’anthologie. (Re)découvrir Le Troisième homme et advienne que pourra…

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le 4 sept. 2022

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