Le Vieil Homme et l'Enfant par Gérard Rocher La Fête de l'Art

A Paris en 1943, le régime de Vichy n'en finit pas de propager ses idéologies fascistes et notamment d'antisémitisme. Les familles juives sont ainsi traquées par la police de Pétain et les parents du petit Claude passent leur temps à se cacher. C'est pourquoi ils décident de mettre l'enfant à l'abri à la campagne. Il se retrouve alors chez Pépé et Mémé, un couple de retraités.
Mémé est une femme très pieuse, austère mais humaine et tendre. Pépé, lui, ressasse les idées de l'air du temps insufflées par le Gouvernement. Si le vieil homme n'est pas bien méchant, on ne peut être plus antisémite et anti-rouge que lui. Et pourtant il ignore que le petit garçon dont il a la garde avec Mémé est juif. Claude va se lier d'amitié avec ce vieil homme agile avec la bouteille et rempli de contradictions attisées par les questions embarrassantes du petit Claude. Celui-ci va réussir à illuminer pour un temps ce vieux couple jusqu'au jour où les parents viendront rechercher leur progéniture. Pour Pépé et Mémé, le coucher du soleil s'annonce car la routine va reprendre place dans leur quotidien...


Tout repose sur une question aussi naïve que précise et embarrassante posée par le petit Claude au vieux Pépé ronchon et pétainiste à tout crin : "Dis, c'est vrai que le Christ était juif ?" "A ce qu'il paraît"... "Mais alors, Dieu est juif ?"... "Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Qui t'a dit ça ?" ..."C'est Mémé, elle m'a dit que Jésus était le fils de Dieu. Si Jésus est juif, son père aussi"...
Que répondre à cela lorsque l'on est, comme beaucoup de français de l'époque, influencé par un système politique aussi nationaliste et pervers que l'Église soutenait sans compter. L'image d'un "héros" de la première guerre mondiale était restée gravée dans la tête de beaucoup de gens crédules qui, séduits par les velléités collaboratrices de "Radio Paris", avaient sous la main des boucs-émissaires tout trouvés avec les juifs, les communistes et les francs-maçons, pour ne citer qu'eux.
C'est vrai, comme beaucoup de ses compatriotes, Pépé est empêtré dans ses contradictions et pourtant l'homme est foncièrement bon mais il se façonne à l'idéologie de ce maréchal, lui aussi manipulé et en partie responsable d'un véritable génocide. Le jugement des uns ne se fait pas sur des préjugés distillés par la malhonnêteté et la lâcheté des autres. Pépé élève des lapins et voue pour eux un amour sans pareil se refusant d'en voir un finir en civet dans une marmite et encore moins dans son assiette. Alors, pour cet homme emprunt d'une certaine tendresse, n'est-il pas paradoxal d'approuver de telles idées à mettre au ban de l'humanité. Comme Jésus, Claude est juif et rien ne l'empêche d'aimer tendrement Pépé. Que faire devant une âme aussi pure qui ne demande qu'à vivre, à aimer et être aimé si ce n'est que de le protéger et de bannir alors les infectes préjugés qui hantent encore trop souvent les pensées de certains. Pour ce vieil homme à la langue de vipère et à la diatribe facile, le départ du petit juif sera certainement un coup fatal pour lui et son épouse qui ne pourront alors que se réfugier dans des souvenirs annonçant le déclin de la vie.


C'est un film autobiographique de son enfance angoissante de gosse juif à Paris qu'a réalisé là Claude Berri. De nombreux réalisateurs se sont attaqués à ce sujet brûlant mais rarement ce thème n'a été traité avec autant de finesse, d'intelligence et de sensibilité. A travers cette histoire Claude Berri regarde la France de l'époque dans le blanc des yeux. Il dénonce la crédulité d'une bonne partie de la population déchaînée contre ceux que leurs gouvernants à la botte des nazis considéraient comme des êtres "différents" pour ne pas employer d'autres termes infâmes. C'est ainsi que les pamphlets déversés par la sinistre "Radio Paris" transformaient des gens ordinaires comme Pépé en dangereux collabos envoyant, pour le bienfait de la patrie, des innocents vers la plus atroce des morts.
Ce film est un bijou qui fait mal, très mal car il nous interpelle sur une plaie qui n'est toujours pas guérie. Certains se permettent encore de juger leurs prochains sur leurs origines, leurs coutumes, leurs mœurs ou leurs idéologies politiques en considérant que les bons sont d'un côté et les mauvais de l'autre. Lorsqu'un homme raisonne ainsi, par son intolérance et son rigorisme, il devient dangereux pour ses semblables. Pépé remarquablement bien incarné par Michel Simon faisait partie de ceux-ci. L'acteur est remarquable parfois révoltant, méchant, hâbleur mais aussi sensible et désemparé. Alain Cohen qui interprète ce petit Claude qui, par ses questions gênantes, va sans le savoir faire évoluer les sentiments de Pépé est absolument rayonnant de naturel. Quant à Luce Fabiole, elle est une Mémé touchante, pleine de bonté et surtout remarquable pour supporter les humeurs de Pépé.


Qu'il est beau et fort notre cinéma français si souvent décrié lorsque de telles œuvres défilent sous nos yeux. Il sait être léger mais aussi grave et c'est ici le cas. Claude Berri, ce grand cinéaste, se souvient et s'interroge sur son enfance et sur le comportement de ceux qui l'entouraient à cette époque. Les choses ont-elles véritablement changé?
On aimerait penser que oui, mais les "Pépé" sont encore bien trop nombreux.

Grard-Rocher
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le 22 juin 2013

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