Le remake du petit classique éponyme de Wolf Rilla est souvent rabaissé, comme souvent dans le domaine. C’est pourtant un excellent cru de Carpenter et c’est plutôt un reboot, n’ayant en commun avec l’original que certaines grandes lignes du scénario. On ne s'y ennuie jamais, jubile quelquefois, déplore des détails (lourdeur infinie de ces focus sur la clé et la poignée) et une certaine superficialité. Sa sobriété pourrait autant le condamner qu'atténuer ses flirts avec le ridicule (les regards enluminés, l'invité formolé) aux yeux d'un public né à l'époque ou après (bien que ces effets soient parfaits pour l'époque et la fonte des visages imaginative).


Après L’Antre de la Folie, John Carpenter revient à un programme d’épouvante plus classique, rappelant son Fog. C’est aussi son film le plus paradoxal, où des acteurs et une esthétique glam kitsch trouvent leur place dans un univers extrêmement sombre, où une mise en scène implacable et gracieuse se met au service d’un récit économe et précis, parfois un peu chancelant mais intelligent. La réalisation est brillante et on découvre un Carpenter choral. Christopher Reeve livre ici sa dernière prestation tandis que Kirstie Alley, au physique percutant et ambigu, livre une performance magnétique et presque insolite (à la fois curiosité ou repoussoir, l'idéal pour une séance d'horreur). Dans ce film les femmes ont le pouvoir (et le meilleur temps d'écran) mais celui-ci est dangereux pour ce qu'il étreint, voire dément.


Les démonstrations visuelles (via la succession d'accidents ou de mises à mort, les coups de feu expéditifs, les échanges glacés) sont plus convaincantes que tous les argumentaires verbaux (et rendent leurs faiblesses presque sans incidence). Les face-à-face avec la cheffe Mara passionnent davantage que les explications et les plans de l'agente du gouvernement. L'ensemble de la population, donc les adultes, ne peuvent qu'assister à l'ascension – et y participer en bons aliénés. Le plus interpellant n'est pas que ces enfants créent une bulle au milieu des adultes, mais qu'ils extériorisent leur volonté sans pouvoir être contestés, agissent comme des produits résolus, des êtres finis.


Ce n'est pas une innocence folle qui angoisse, c'est de voir le sens des réalités échapper par le biais de ceux qui devraient être des héritiers. La menace est plus profonde qu'avec des cas apocalyptiques (type Révoltés de l'an 2000) car l'adversaire ne profite pas des accidents des hommes normaux ou de l'Humanité – il va la surpasser, l'anéantir comme le sont chaque jour des formes de vie imbéciles, pas comme l'ont été des civilisations dignes d'être relevées. Le sinistrisme s'appliquant aux membres d'une génération avec l'éclosion d'une nouvelle est étendu au niveau maximal, jusqu'à ne plus être pertinent car la secte des sur-évolués aura une autre appréciation de l'Histoire – elle deviendra lisse et fermée.


Sans liquider le génie, il y a certaines redondances et banalités dans le point de vue (Body Snatchers de Ferrara est plus pertinent – et plus spectaculaire). Il germe une frustration qui n’est effectivement pas gommée, le final étant assez décevant, éparpillé et naïf sur le plan conceptuel (laïus sur l’émotion). Cela n’empêche pas le film d’aligner beaucoup d’idées intéressantes et de pousser plus loin les pistes de l’original, tout en incluant un commentaire sur le pouvoir et sa tentation de faire de la société entre ses mains un laboratoire. Cela concerne autant les enfants et leur micro-société à la rationalisation absolue, que les décideurs bien humains. L’individu est menacé par ces consensus impitoyables.


https://zogarok.wordpress.com/2017/05/02/le-village-des-damnes-son-remake/

Zogarok

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