Le Voleur de Bagdad se révèle, 90 ans plus tard comme un pur divertissement. Réalisé par Raoul Walsh, mais complètement porté devant comme derrière la caméra par un Douglas Fairbanks athlétique et virevoltant, qui s'affranchit de toutes les contraintes, et fait de Bagdad, magnifiquement recrée, un terrain de jeu fantaisiste envoûtant.
Ce film d'aventures est aussi un conte, un film fantastique, un film exotique, un film gymnique, un récit initiatique, une sorte de divertissement total qui ne s’embarrasse pas d'envolées lyriques ou dramatiques, mais qui joue de toute sa fougue (grâce aux acteurs bondissants, aux décors majestueux de fantaisie, au montage vif et malin) pour subjuguer un spectateur transporté à 1000 lieues de son quotidien.
La première partie est sans doute la plus libérée, celle qui nous offre un bol d'air incroyable, une fraîcheur caractérisée par la liberté de ton et de mouvements.
Notre voleur fougueux nous fait visiter Bagdad de fond en comble (littéralement), recréée par des décors immenses qui s'affranchissent de réalisme au profit d'une imagerie proche du dessin animé. Jamais ces imposantes structures n'écraseront Ahmed, comme dans le courant expressionniste. Ici, c'est un outil pour l'acteur principal, un terrain de jeu, les rapports sont inversés, c'est l'homme qui dompte totalement ces volumes comme une seconde nature, animalité adaptée à son environnement dont il exploite toutes les possibilités et qui lui permettent de s'affranchir de la lourdeur terrestre. Au seuil des hommes, aux soubassements de la ville via l'entrée dérobée d'un puits, ou au firmament des étoiles et des faîtes des palais, Douglas Fairbanks n'a pas de limites physiques, et malin comme un singe, il échappe à la dure loi des hommes autant qu'à l'attraction tellurique.
Cette liberté de mouvement est aussi le pendant terrestre d'une liberté de vie totale joyeusement anarchisante "What I want - I take!".
Notre héros se joue des religieux, des hommes de lois, des nantis avec le sourire et une énergie si vive qu'il nous transmet cette joie libertaire (il vole sans scrupule, se moque des religieux et de leurs croyances idiotes, et se nourrit allègrement de la cuisine des autres).
C'est ainsi que l'amour providentiel mettra un terme à cet état de grâce, malheureusement pour le spectateur, pour retourner les valeurs de cet homme que la passion conduira sur le droit chemin.
La morale, américanisante et de son époque, se verbalise au tout début du film "happiness must be earned", il faut donc mériter le bonheur. Pourtant Ahmed ne semble pas vraiment malheureux au début du film. Il apparaîtra qu'il était inconscient de sa condition, et qu'il lui incombe dorénavant de prouver par ses actes guidés vers le droit chemin de mériter ce bonheur, jusqu'à présent volé.
C'est un renversement sujet à débat, et le film prendra alors la direction du pur film d'aventure, après tout c'est le but de la parabole et du conte que d'apprendre la morale aux hommes. Fort heureusement ce pivot moral n'affectera pas le mode de vie aérien du voleur repenti, qui devra surmonter différentes épreuves, toujours physiques (sauf les naïades), dans un tempo un peu trop linéaire, mais entrecoupé des quêtes princières de courtisans, dont l’intérêt se justifiera par la suite.
Si les monstres à combattre sont désuets et prêtent à sourire, les décors demeurent incroyables et la séquence sous-marine offre un combat au ralenti qui préfigure une certaine esthétisation de la violence et du corps humain (plus notamment l'homme musclé qui s'ébat).
La fin du film est mythique, par l'emploi poétique du tapis volant et du cheval ailé, Ahmed s'étant finalement affranchi totalement de la lourdeur terrestre pour s'élever avec son amour mérité aux confins des étoiles, devenu personnage Borzagien (oui c'est un anachronisme) sorti des profondeurs et s'élevant aux nues par la puissance de l'amour.

humta
9
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le 21 juin 2015

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humta

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