Construit autour d'une scène pivot qui ne surviendra que vers la fin, le film procède au rythme d'un montage parallèle dont on ne comprend que tardivement le décalage temporel, puisque les itinéraires suivis par Sonia et par Mélanie à la fois s'éloignent, pour l'une, et s'approchent, pour l'autre, de cette scène où les deux histoires auraient dû se rencontrer. Deux histoires en miroir, donc. Deux histoires dans lesquelles la crédulité de deux jeunes filles se sera trouvée abusée, tout comme celle du spectateur, auquel la réalisatrice a fait subir, durant la majeure partie du film, un effet de collin-maillard, en brouillant tous ses repères temporels, hormis les singuliers fils conducteurs que seront les cheveux d'une mère, et leur longueur variant selon l'époque. Effet d'égarement auquel on consent comme étant de bonne guerre, puisque redoublant la manipulation subie par les deux jeunes héroïnes.


C'est ainsi que l'on accompagne Sonia dans ce que l'on pourrait appeler un retour vers la vie : vers sa sensibilité, vers les autres, vers la société. L'actrice qui lui prête son visage, superbe Noémie Merlant, parvient de manière aussi admirable qu'inquiétante à faire évoluer ses traits d'une dureté inhumaine et coupée, meurtrière, à une expressivité et une mobilité retrouvées avec autant d'étonnement que quelqu'un qui réapprendrait à marcher après une longue paralysie.


Suivant le parcours inverse, Mélanie, la bien-nommée, s'enfonce dans l'obscurité du mensonge et de l'endoctrinement religieux. C'est un "prince" ne sortant jamais de la virtualité d'Internet qui sera parvenu à gauchir de la sorte sa trajectoire, au point que cette jeune fille au visage de madone, incarnée par Naomie Amarger, parfaite, se trouve engloutie par le territoire syrien.


Autour de ces deux comètes, une mère éperdue, Clotilde Courau amincie, devenue Déméter hagarde lancée à la recherche de sa fille Perséphone, et un couple de parents finalement plus heureux, Sandrine Bonnaire et Zinedine Soualem. Avec beaucoup de sensibilité et d'intelligence, Marie-Castille Mention-Schaar, qui réalise ici son quatrième long-métrage, souligne l'impuissance relative des adultes, qui subissent le maelström de la radicalisation sans toujours conserver le gouvernail en main, même s'ils s'emploient autant que possible à reprendre le contrôle. Figure tutélaire et protectrice, exerçant avec bienveillance un rôle essentiel, non seulement de médiatrice, mais aussi de pédagogue, Dounia Bouzar tient son propre rôle, permettant, avec les parents ou d'anciennes victimes, des moments indispensables de parole vraie. Moments salutaires, pour échapper à un réseau de faux-semblants menant à une violence radicale.


Bien que les teintes du film apparaissent sombres et ternies, portant le reflet du voile de l'obscurantisme, la réalisatrice signe un film qui projette une lumière implacable sur la question de l'embrigadement. Un film aussi inquiétant que nécessaire.

AnneSchneider
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le 19 oct. 2016

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Anne Schneider

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