Conscience et conséquences dans la vie insensée d'un homme intègre

Comme toujours je me suis rendu à cette séance sans avoir lu le synopsis ni vu la bande-annonce, avec donc comme seuls repères le nom d'un réalisateur qui m'avait ébloui avec son "homme intègre" et dans son sillage une réputation de grand film depuis son Ours d'Or berlinois acquis en 2020.


Entre temps une certaine crise sanitaire est passée par là, et avec elle un paquet de sorties remises aux calendes grecques. Initialement prévu le 5 août 2020, c'est donc mercredi et après cinq reports successifs que ce moment tant attendu est enfin arrivé.


Au bout de 45 minutes très iraniennes, les figures tutélaires de Kiarostami et Farhadi étant clairement convoquées, et une grosse claque derrière les oreilles provoquée par l'art du plan qui tue, je me rends compte que le premier récit s'achève pour laisser place à un autre. Ce segment appelé "Le Diable n'existe pas" sera prolongé, complété, commenté par trois autres qui, si mes souvenirs sont exacts, auront pour titre "Elle lui dit : « Tu peux le faire »", "Le Jour d'anniversaire" et 'Embrasse-moi", à la manière d'une pièce en quatre actes.


Segments qui se répondront, où la présence d'un personnage dans tel ou tel sera la conséquence de ses actes dans le précédent. Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire l'entreprise n'est en rien conceptuelle ni vaine, elle répond autant à une logique de propos que de cinéma. Mohammad Rasoulof travaille les genres et leurs codes pour illustrer un même discours, ou quand l'absence d'incarnation des victimes, de leurs visages, se fait traumatisme, tout en embrassant l'histoire du cinéma iranien, se permettant même de franchir la frontière avec la Turquie quand soudain son esthétisme va se balader du côté de Nuri Bilge Ceylan. Mais chose plus surprenante, il assume pleinement le romanesque et utilise même à l'intérieur de chaque récit des ressorts scénaristiques très hollywoodiens, le twist se confrontant ainsi de façon presque antinomique à l'aridité.


Que ce soit dans le drame psychologique choc, le thriller haletant, la romance contrariée ou la fable où même le renard montre le bout de son museau, le réalisateur assigné à résidence parle de l'horreur d'un système, d'un régime, de la lâcheté de celui-ci qui oblige l'individu à choisir entre tuer et entrer en résistance, donc dans une hypothèse ou l'autre à voir sa vie brisée. Il parle donc en permanence de conscience, individuelle ou collective, de morale, mais sans moralisme.


On ressort de ces 152 minutes chancelant, un peu honteux de s'être parfois délecté de la beauté des images, Rasoulof ne se privant pas de nous montrer le grand écart entre majesté des paysages d'un pays et horreur en creux, dévastation des êtres et de leurs âmes.


"La Loi de Téhéran" et "L'Échiquier du vent" cet été, "Le Pardon" et "Le Diable n'existe pas" actuellement, films contemporains ou trésor ressuscité, le cinéma iranien est donc de retour en force et forme sur nos écrans.

Créée

le 3 déc. 2021

Critique lue 3.4K fois

37 j'aime

1 commentaire

takeshi29

Écrit par

Critique lue 3.4K fois

37
1

D'autres avis sur Le Diable n'existe pas

Le Diable n'existe pas
Cinephile-doux
9

Peine incompressible

Faut-il être à tout prix indulgent pour l’œuvre d'un cinéaste harcelé par les autorités de son pays, emprisonné à l'occasion et interdit de sortie de son territoire, entre autres brimades ? La...

le 1 déc. 2020

32 j'aime

2

Le Diable n'existe pas
Procol-Harum
8

Contes persans de la cruauté ordinaire

Cette longue et lente séquence placée en ouverture du récit, au cours de laquelle la voiture du protagoniste s’extirpe progressivement des entrailles d’un parking souterrain pour regagner la surface,...

le 10 déc. 2021

19 j'aime

4

Le Diable n'existe pas
mile-Frve
8

Criminalité légalisée

Critique amère de la structure juridique et politique iranienne, analyse de la culpabilité humaine et étude de la responsabilité criminelle, Le Diable n’existe pas, construit sous la forme de quatre...

le 3 juil. 2021

12 j'aime

Du même critique

Ernest et Célestine
takeshi29
8

Éric Zemmour : " "Ernest et Célestine" ? Un ramassis de propagande gauchiste "

"Ernest et Célestine" est-il un joli conte pour enfants ou un brûlot politique ? Les deux mon général et c'est bien ce qui en fait toute la saveur. Cette innocente histoire d'amitié et de tolérance...

le 15 avr. 2013

282 j'aime

34

Racine carrée
takeshi29
8

Alors, formidable comme "Formidable" ?

En 2010, la justice française m'avait condamné à 6 mois de prison avec sursis pour avoir émis un avis positif sur le premier album de Stromae (1). La conclusion du tribunal était la suivante : "A...

le 18 août 2013

258 j'aime

34