Critique amère de la structure juridique et politique iranienne, analyse de la culpabilité humaine et étude de la responsabilité criminelle, Le Diable n’existe pas, construit sous la forme de quatre nouvelles interreliées, puise toute sa grandeur et sa beauté dans son scénario, véritable chef-d’œuvre de construction narrative où chaque séquence, chaque dialogue et chaque mot se répondent et accentuent la puissance des scènes. Glaçant de vérité, le film témoigne du quotidien peu ordinaire de certains hommes qui, en raison de leur métier (que nous tairons de peur de révéler l’élément clé de l’histoire), s’abrutissent à travers un terrible déni dans le but d’effacer de leur esprit l’horreur des actes qu’ils posent et de, fatalement, faire du cauchemar une habitude. Avec sa mise en scène sobre et ses couleurs naturelles, Rasoulof contourne l’habituelle démarche esthétique à laquelle nombre de films prétendent; il laisse l’esthétisme, au sein de paysages grandioses et de plans qui en imposent, se révéler de façon fortuite et renforcer l’éclat de l’œuvre.


Récipiendaire de l’Ours d’or à la Berlinale édition 2020, le nouveau film de Mohammad Rasoulof, en raison du dépaysement moral qu’il provoque mais aussi de son regard d’une extrême lucidité concernant la conception du bien et du mal, est tel un coup de marteau pour le spectateur occidental, qui quitte la représentation étourdi et bouleversé. Se jouant du conformisme qu’est contrainte de respecter la société iranienne, le réalisateur, qui avait auparavant réalisé Un homme intègre (lauréat du Prix Un certain regard à Cannes en 2017), use de contraste et, à mesure que se succèdent les différentes histoires, orchestre une transition de la ville vers la campagne, passant des klaxons incessants aux bruits apaisants du vent et des abeilles. Au même moment que se produit cette sortie progressive des centres urbains se déroule une seconde excursion, plus symbolique mais tout aussi belle : celle de l’orthodoxie citoyenne vers la révolte personnelle.


Depuis quelques années, un pressentiment semblait s’imposer aux yeux des cinéphiles du monde entier avec les films (de plus en plus primés dans les festivals majeurs de cinéma) d’Asghar Farhadi (Une Séparation, Le Client) et de Jafar Panahi (Taxi Téhéran, Trois Visages), et vient d’être confirmé avec la magistrale œuvre qu’est Le Diable n’existe pas: le cinéma iranien traverse une période d’effervescence artistique qui enfin gagne en reconnaissance auprès des institutions filmiques.


Doté de performances terrassantes ainsi que d’un propos éminemment subversif qui aura valu au réalisateur un an de prison et une assignation à résidence l’empêchant de récupérer son prix à la Berlinale, Le Diable n’existe pas se présente comme un film nécessaire qui, avec une précision folle, dénonce les failles de tout un système, dynamite l’absurdité des normes iraniennes et, malgré sa virulence assumée, nous parle d’amour, de vie et de liberté.

mile-Frve
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le 3 juil. 2021

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Émile Frève

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