Le Mari de la femme à barbe par Gérard Rocher La Fête de l'Art

La férocité de Marco Ferreri se révèle au grand public en 1964 au Festival de Cannes avec ce film quelque peu provocateur et d'une extrême cruauté morale et humaine. Respectons son choix car au travers de cette œuvre, on peut assurément comprendre cette révolte face au profit, malheureusement tiré par certains, d'un handicap lourd.


Dans cette histoire, Antonio, malgré son apparence séduisante ou tout au moins "humaine", se trouve être un vrai monstre profitant de l'anomalie de Maria, innocente et inconsciente du danger qui la guette, pour la jeter en pâture à une nuée de voyeurs, citoyens au-dessus de tout soupçon. Tel King Kong déraciné de son île, Maria fait la une d'un cabaret parisien géré par un producteur crapuleux, lui faisant subir les pires outrages avec ce minable "strip-tease".
Elle n'est plus qu'une jeune femme rongée par son anomalie et par la persistance des regards qu'on lui porte. L'exploitation des êtres en état de faiblesse étant d'autant plus facile que ces gens n'ont souvent plus rien à attendre d'une vie et d'une société qui leur tournent le dos. Maria est seule au monde, loin de cet ancien couvent qui la protégeait.
Dans cette société corrompue par l'appât du gain, la rentabilité de Maria va croître avec un mariage savamment calculé dans le but de la faire procréer et tirer ainsi quelques substantiels profits.
La mort ne sera même pas un apaisement pour cette malheureuse, on lui volera même ce moment, ce droit de reposer en paix au gré de sa croyance.


Comme à son habitude, Marco Ferreri ne fut pas le bienvenu à Cannes en 1964. Il est vrai qu'afin d'alerter le monde sur ses convictions, le réalisateur aime brusquer et presque agresser le spectateur afin de mieux le confondre dans ses travers. Sans être aussi difficile à digérer que "La grande bouffe", il n'en demeure pas moins que ce film est assez virulent pour en toucher certains se reconnaissant peut-être dans le personnage d'Antonio. Celui-ci est interprété par un Ugo Tognazzi calculateur, retors et révoltant qui signe là l'un de ses meilleurs rôles.
Et que dire d'Annie Girardot dans le personnage complètement surprenant de Maria? Tout simplement qu'elle est émouvante en femme bafouée et humiliée à un tel point que ses tortures morales nous font oublier le personnage au physique monstrueux créé par un maquillage extraordinaire.


Ce film malheureusement détesté par certains fut réalisé en deux versions, l'une se terminant mal, c'est la version que je vous décris et l'autre moins choquante dans laquelle Maria retrouve sa dignité. De cette manière, le public peut appréhender ce film selon son goût et sa sensibilité.
L'engouement ne fut pas flagrant à sa sortie, c'est bien dommage et c'est pourquoi je vous en parle avec enthousiasme car cette œuvre très particulière mérite tout l'intérêt des cinéphiles qui, soyons-en sûrs, ne resteront pas indifférents à cette détresse.

Créée

le 16 mars 2014

Modifiée

le 3 juin 2013

Critique lue 1.4K fois

34 j'aime

18 commentaires

Critique lue 1.4K fois

34
18

D'autres avis sur Le Mari de la femme à barbe

Le Mari de la femme à barbe
SB17
7

La bête et le monstre

Cinéaste du « mauvais goût » selon certains, Marco Ferreri démontrait déjà son talent de satire féroce avec Le Mari de la femme à barbe, son cinquième film. Une œuvre monstrueuse et cruelle à bien...

Par

le 17 févr. 2022

11 j'aime

1

Le Mari de la femme à barbe
Morrinson
7

Freak show simiesque

Lorsque arrive la séquence au cours de laquelle Annie Girardot, une femme à la pilosité déréglée (une conséquence de l'hypertrichose, un dérèglement hormonal dont "femme à barbe" paraît être un sacré...

le 27 juin 2019

8 j'aime

Le Mari de la femme à barbe
Boubakar
7

Conte très cruel

Un homme rencontre dans un couvent une femme atteinte d'hypertrichose, à savoir une pilosité excessive. Il va en tirer profit en voulant l'exploiter dans diverses foires, comme une bête de scène,...

le 14 févr. 2024

3 j'aime

Du même critique

Amadeus
Grard-Rocher
9

Critique de Amadeus par Gérard Rocher La Fête de l'Art

"Pardonne Mozart, pardonne à ton assassin!" C'est le cri de désespoir d'un vieil homme usé et rongé par le remords qui retentit, une triste nuit de novembre 1823 à Venise. Ce vieil homme est Antonio...

176 j'aime

68

Mulholland Drive
Grard-Rocher
9

Critique de Mulholland Drive par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En pleine nuit sur la petite route de Mulholland Drive, située en surplomb de Los Angeles, un accident de la circulation se produit. La survivante, Rita, est une femme séduisante qui parvient à...

166 j'aime

35

Pierrot le Fou
Grard-Rocher
9

Critique de Pierrot le Fou par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Ferdinand Griffon est entré malgré lui dans le milieu bourgeois par son épouse avec laquelle il vit sans grand enthousiasme. Sa vie brusquement bascule lorsqu'il rencontre au cours d'une réception...

156 j'aime

47