Datant de 1952 alors que Joan Crawford ne peut plus jouer les jeunes premières, Le masque arraché décline les codes du film noir avec une maîtrise absolue. Amour et trahison y constituent les ingrédients de base et agissent comme des poisons au cœur d'un trio sombre et machiavélique.


Tout est question de rythme. Le scénario se déploie selon une mécanique de haute précision, accélérant progressivement le pas jusqu'au frénétique final. Il s'agit d'abord, le temps d'un voyage en train entre New-York et San Francisco, que le spectateur partage avec Myra le sentiment amoureux qui nait en elle. Cette femme sûre d'elle, mais avenante, à qui tout réussit (riche héritière, elle connaît le succès grâce aux pièces de théâtre qu'elle écrit), semble découvrir le plaisir d'aimer et à travers lui une insouciance inconnue.


Évidemment, l'état de béatitude dans lequel la jeune mariée se complaît bientôt ne dure pas. La découverte de la trahison la plonge dans un abîme sans fond (mais de très courte durée, comme un flash, un mauvais trip), duquel elle revient plus déterminée que jamais. Dès lors la mécanique s'emballe et les personnages courent à leur perte.


La course poursuite finale fonctionne alors comme le dernier tableau d'un feu d'artifice, son apothéose. Les personnages semblent avoir perdu la raison et n'agir que selon un instinct qui peut aussi bien les sauver que les mener à leur perte. Les rues humides et sombres de San Francisco, les ruelles et passages impraticables en voiture matérialisent le labyrinthe mental dans lequel chacun se débat. Jusqu'à se perdre. Ou se retrouver.


Le nouveau master haute définition magnifie le noir et blanc et les effets parfois expressionnistes de la mise en scène de David Miller. Joan Crawford s'impose en diva fragilisée face à un Jack Palance séducteur et inquiétant tandis que Gloria Grahame vient troubler le jeu. Porté par la belle partition d'Elmer Bernstein, Le masque arraché éblouit autant par la précision de son écriture que par son exigence formelle. La sortie DVD est l'occasion de (re)découvrir un pur joyau du cinéma noir.

pierreAfeu
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le 13 févr. 2017

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pierreAfeu

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