En 2010, Romain Gavras, fils de Costa, signait son premier coup d’essai, « Notre Jour Viendra », un road movie aussi absurde qu’acide où deux roux s’en allaient conquérir le monde. Si le film pêchait par certaines scènes un peu trop gratuites, ce premier long-métrage laissait entrevoir le talent du jeune cinéaste français pour créer des situations décalées et des personnages en marge. Exactement, ce que l’on retrouve, avec beaucoup plus de maitrise, dans « Le Monde est à toi ».


Il faut dire que le pitch annonçait déjà un univers bien barré. Pour résumer l’histoire, un jeune dealer rêvant de devenir le distributeur officiel de Mister Freeze au Maghreb, décide de faire un go fast après que sa cleptomane de mère ait joué toutes ses économies. Sauf que pour pouvoir mener sa mission à bien, il ne peut compter que sur une belle équipe de bras cassés. Entre un ancien beau père complètement à la ramasse, un amour de jeunesse membre actif du gang de voleuses voilées de sa mère et deux jeunes comploteurs s’intéressant aux illuminatis, on ne peut pas dire que cela sera de tout repos.


Des personnages de cette trempe, le film en compte une bonne flopée. Je vous laisse le soin de les découvrir en salle mais je peux vous assurer qu’ils sont tous bien écrits. Ici, Gavras ne se contente pas que d’aligner un casting de « gueules » ou d’énergumènes excentriques. Chaque protagoniste a une histoire, une personnalité qui lui est propre, des fêlures et une trajectoire bien définie. Cette richesse d’écriture permet au jeune auteur français de pouvoir tisser un univers autour de leurs interactions et de faire traverser au spectateur un véritable patchwork d’émotions.


Soyons clair, « Le monde est à toi » n’est pas qu’une simple comédie d’action loufoque. Sous couvert d’une histoire assez classique et avec beaucoup de dérision, Romain Gavras détourne certains clichés liés à la petite voyoucratie afin de donner un autre visage de ce microcosme. Le but n’est pas de dresser un bilan alarmiste sur les banlieues mais plutôt de déconstruire l’image de cet univers tout en montrant qu’une porte de sortie est possible. Pour arriver à ce résultat, le jeune réalisateur français est allé puiser du côté de la comédie italienne des années 60/70 comme « Affreux, sales et méchants » pour citer la principale référence qu’il revendique. Ainsi, nos repères moraux seront quelque peu chamboulés car les exactions que commettent les personnages sont souvent tournées en dérision afin d’aborder certains sujets graves comme le trafic de drogue, l’exploitation des migrants, les dérives des réseaux sociaux et des médias de masse. Le spectateur manquant de second degré risquera de se retrouver sur le bord de la route.


En ce qui concerne la mise en scène, il est incontestable que Romain Gavras a un univers visuel qui lui est propre. « Le monde est à toi » fourmille de petites trouvailles pop que le réalisateur avait déjà expérimentées dans ses travaux pour le collectif Koutrajmé ou les différents clips musicaux qu’il a réalisés. Si ses fans de la première heure diront que Gavras a du mal à se renouveler, il est certain que la réutilisation de certains partis artistiques contribue à créer un univers cohérent. Exemple : pourquoi a-t-il infligé au gang des Zaïrois la même coupe que les enfants dans le clip de la chanson « Gosh » ? Tout simplement pour que le spectateur comprenne en l’espace de deux scènes que ce groupe de gangsters est régi selon des règles, un code et à quel point ils sont soudés. En terme de caractérisation de personnages, on est dans du très lourd surtout que tout passe par le visuel et que cela permet de s’éviter d’interminables lignes de dialogues pour les présenter.


Reste à aborder la direction d’acteurs et je dirai juste qu’elle est de bonne facture. Pour parler des premiers de classe, Vincent Cassel et Isabelle Adjani sont excellents dans des rôles aux antipodes de ce qu’ils ont l’habitude d’interpréter et Karim Leklou tient la dragée haute à ces deux monstres sacrés en incarnant le rôle le moins exubérant de cette bande de pieds nickelés. En ce qui concerne le reste du casting, il est plutôt bon mais certains acteurs comme Oulaya Amamra, Philippe Katerine et François Damiens interprètent des rôles qu’ils ont l’habitude de jouer. Pas un drame en soi car leurs performances collent parfaitement avec leurs personnages mais c’est juste dommage de les retrouver dans un registre qu’ils ont déjà exploré.


Vous l’aurez compris « Le monde est à toi » est pour moi un véritable coup de cœur, je ne saurais que trop vous recommander de vous jeter la tête la première dans ce qui est, pour le moment, l’une des meilleures comédies françaises de ces cinq dernières années.


Critique initialement publiée sur : http://cinematogrill.fr/le-monde-est-a-toi/

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le 22 août 2018

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