Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

Quand même Miyazaki peut faire son gros branleur

Enfer. Hantise. Damnation absolue. Comment dire. C'est bien, mais c'est pas bien. À la façon du Nouveau Testament, la déontologie du journaliste stipule bien que la vérité fera de nous des hommes libres. Alors, impitoyable nous serons, fût-ce au prix de notre vie. Le vent se lève, il faut tenter d'écrire.

Soyons clair sur un point : comme toujours chez papy Hayao, Le Vent se lève propose un spectacle sensoriellement stratosphérique, un bijou de mise en scène, et un travail d'animation d'une fluidité toujours aussi rare, sur fond d'aquarelles généralement somptueuses. On peut trouver un peu dommage le parfait surplace de la "patte" Miyazaki en termes de character design, mais ce dernier est toujours aussi plaisant, et au moins, on ne risque pas une mauvaise surprise. Enfin, et comme toujours, ce qu'il raconte sur le Japon, sur l'Homme, la nature et l'amour est sage, juste et beau.

Seulement, comme jamais, papy Hayao nous épargne, avec Le Vent se lève son riche bestiaire animiste et ses créatures fantaisistes, chat-bus et filles-poissons, pour s'intéresser et se limiter au monde des hommes, des pauvres mortels et de leurs rêves dérisoires. Et il ne fait pas les choses à moitié : ici, point de modeste comptine de banlieue résidentielle nipponne à la Si tu tends l'oreille, de Kondô Yoshifumi. Miyazaki s'attaque à la plus trouble période de l'Histoire japonaise récente, les années 1910-20-30, et choisit pour "héros" un personnage historique, Horikoshi Jirô, ingénieur de génie à qui l'on doit les fameux avions de chasse Zero qui auront rendu folle la marine américaine pendant la bataille du Pacifique (vous savez, ceux qui avaient un un soleil rouge sur chaque aile). Le spectateur occidental appréciera le parallèle évident avec Oppenheimer, autre génie destructeur involontaire des mondes, dans son cas indirectement responsable de la bombe atomique. En résumé, on tient du lourd : Le Vent se lève, c'est un peu La Liste de Schindler de papy Hayo, ce dernier étant, tout comme onc' Steven, davantage connu pour ses mondes merveilleux, fantastiques et enfantins.

On reconnaitra cependant sa touche, au-delà de sa patte graphique, point d'inquiétude : la raison de son intérêt pour l'histoire de Horikoshi est que le sujet le touche personnellement à travers son père, qui travaillait dans l'aéronautique, et c'est de cela que provient sa fascination pour les objets volants qui traversent sa filmographie. Vous aviez aimé les envolées aériennes de Porco Rosso ou du Château dans le ciel ? Vous en aurez ici pour votre argent. Cette intimité se sent du début à la fin du film, et étoffe la réalisation du maître impliqué.

Le vent se lève... euh, non, en fait, la météo s'est gourrée.

Hélas, intimité ou pas, l'ensemble laisse un peu froid. À l'exception d'une ouverture brillantissime sur une scène de tremblement de terre absolument mémorable (mention aux grondements de voix humaines figurant la terre en colère), de quelques scènes de tests de vol assez exaltantes, comme indiqué plus haut, et de l'émouvante légèreté de la parenthèse dans le sanatorium allemand (lorsque le héros charme sa future épouse), qui ravira les amateurs de romance nipponne... force est d'avouer que l'on s'emmerde pas mal, la faute à un survol généralisé de pratiquement tous les sujets. Papy Hayao a des trucs à raconter, mais il a moins réfléchi au "comment" qu'au "parce que", à son parcours qu'à sa destination. Par exemple, quand on veut émouvoir son public, on écrit un personnage principal un peu plus séduisant et énergique - sa tête-à-claque donne l'impression de replonger dans Nadia, le Secret de l'eau bleue. Pas forcément plus sympa, certainement pas moins complexe, mais surtout moins apathique et déconnecté, ceci impliquât-il de prendre quelques distances avec le vrai caractère du personnage historique (ou pas). Cette apathie est une tradition typiquement nipponne (cf. les héros de Murakami Haruki), et ça marche parfois, mais dans Le Vent se lève, il y avait mille façons d'illustrer la déconnexion à une Histoire trop dure d'un vieux garçon affable qui ne demandait qu'à jouer avec ses avions. Par exemple, il aurait pu développer un peu ses personnages secondaires, comme celui de la jeune épouse, parfaitement sacrifiée sur l'autel de la passion dévorante du héros, et réduite à une caricature de hamster transi, ou encore sa petite sœur, pleine de potentiel, mais tout aussi peu travaillée. Par exemple, en plus de deux heures, il aurait pu explorer des pans entiers de la narration passés un peu à la trappe, qui auraient été autant de véhicules dramatiques dans lesquels le spectateur aurait pu s'engouffrer volontiers.

Le casting d'Anno Hideaki dans le rôle principal est assez significatif du léger autisme qui a présidé à la conception du film : rarement aura-t-on vu choix de doubleur aussi peu avisé. À la base immense réalisateur d'animation (Gunbuster, Evangelion, Karekano…), le vieil otaku quinquagénaire surgit d'un peu nulle part sur la scène, et un peu à l'improviste dirait-on, prêtant au personnage principal sa même voix monocorde et cotoneuse (et vieillie par les parties de MMORPG en ligne !) du début à la fin du film, qu'il soit à peine étudiant ou homme d'âge mur, heureux ou malheureux, en action ou endormi. L'apathie comportementale de Jirô s'étend à sa voix, qui semble aussi concernée par ce qu'il se passe que le doubleur ukrainien d'un film de Steven Seagal époque 2000. Enfin, pour rester dans le registre sonore, la bande originale totalement insipide de Joe Hisaishi n'arrange pas les affaires - mais là, zero surprise.

En résumé, on voit où Miyazaki veut en venir, mais on n'est pas super convaincu par la façon dont il s'y prend. Résultat, Le Vent se lève est un film esthétiquement à la hauteur de toute production Ghibli majeure, et une histoire non dénuée de substance, mais un récit pas assez pensé pour le public, pour l'Autre, et clairement un des moins forts du cinéaste - à mille lieues d'un Mononoké. Eût-il été réalisé par un petit nouveau, votre serviteur lui aurait pardonné quelques uns de ses défauts. Mais là, on nage dans un"peut mieux faire" assez exaspérant, étant donné le potentiel, et qu'il s'agit là, a priori, du dernier film du maestro.

Allons-y franco : on se permet carrément de soupçonner les fans se disant totalement conquis par ce cru Miyazaki d'"aimer pour aimer", et de s'émouvoir davantage de la démarche du vieux maestro que du film en lui-même. Les idoles, c'est mal.
ScaarAlexander
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Créée

le 20 mai 2014

Modifiée

le 22 nov. 2014

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Scaar_Alexander

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