"Ingénieur ou artiste, une vie de création dure dix ans."
Dernier film de Miyazaki ? Je ne sais pas. Le temps nous le dira.
Mais il faut bien dire qu'il se dégage tout le long du film une ambiance solennelle, presque grave, malgré les multiples traits d'humour. Si ce n'est l'heure de la révérence, c'est tout du moins celle du bilan, et dès lors il n'est pas étonnant que Le vent se lève soit le film le plus ouvertement autobiographique du maître.
Le film est dans la continuité du reste de son œuvre tout en marquant une rupture assez nette. Comme on le dit un peu partout, c'est un film très terre-à-terre, évacuant une grande partie du merveilleux qui soutenait ses autres longs-métrages. On retrouve ce dernier par petites touches, de manière évidente à travers de superbes scènes de rêves, et de manière plus subtile à travers les quatre éléments.
Il y a l'air, forcément. Il y a la terre, qui revient très souvent à travers le symbole de la locomotive, l'opposé des avions le moyen de locomotion cloué au sol par excellence. Il y a aussi le feu et l'eau, présents dans tout le film, en filigrane, en arrière-plan. Ces quatre éléments sont humanisés, Miyazaki leur prête une vie et une volonté propre. De ce point de vue, on est dans la continuité de ses derniers films : on retrouve le procédé dans Ponyo et dans le Château Ambulant, peut-être pas de façon aussi prégnante, mais tout de même bien présent. La différence, c'est que c'est là la seule fantaisie que ce permet Miyazaki, qui se concentre essentiellement sur la reconstitution des années 20/30.
Sur ce sujet, il est amusant de constater que si le film décrit une époque révolue, l'intrigue possède elle aussi des traits un peu dépassés, rappelant beaucoup plus les films classiques des années 40/50 que quantité de sorties modernes. Au menu, dilemmes émotionnels et éthiques, introspection du personnage mis face à ses paradoxes et j'en passe : le film, malgré son rythme posé et son ton un peu distant, possède une émotion certaine. Mais cette émotion ne se dévoile pas au grand jour d'elle-même, il s'agit d'une émotion pudique, presque refoulée s'il n'y avait les personnages secondaires pour la révéler : c'est ceci qui me fait penser à bien des romances et des mélodrames de l'après-guerre (Lettre d'une inconnue, tiens, par exemple).
Jirô est un héros passionnant sur bien des points, beaucoup plus complexe qu'il n'apparaît de prime abord. A travers ce personnage, Miyazaki parle à la fois de lui-même (certaines répliques du film lui sont clairement destinées) et de son père, et n'hésite pas à pointer ses failles et à interroger le bien-fondé de ses actions. Ainsi, la personnalité très entière du personnage, présenté de prime abord par son côté exclusivement positif, dévoile peu à peu une part d'ombre inattendue, au bord de la cruauté par moments - alors même que le film tend vers une naïveté assumée et charmante.
En parallèle, le film montre l'évolution de la société japonaise pendant la période de l'avant-guerre, et si je ne peux rien affirmer sur le sujet, j'ai trouvé la reconstitution très bien faite, tant du point de vue factuel que de celui de la mentalité des personnages. Miyazaki a toujours été très fort pour nous plonger dans des univers, et bien qu'il soit plus ancré dans la réalité, Le vent se lève ne fait pas exception.
Deux petits bémols, le film accuse quelques longueurs, du fait de son côté solennel justement, et certains personnages secondaires manquent de sel, ou bien qu'ils auraient mérités qu'on s'y attarde un peu, ou bien qu'il manque quelque chose pour les distinguer un peu plus. Mais je suis ressorti de la séance ravi et j'ai - déjà - très envie de le revoir. C'est plutôt bon signe, après tout.