« Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». C’est sur cette citation de Paul Valéry, scandée tout au long du film, que s’ouvre le dernier métrage de Hayao Miyazaki, ode aux rêves des hommes pacifiques dans un monde belliqueux. Jiro Horikoshi ne rêve que d’une chose : concevoir et fabriquer de beaux avions, mais, comme le lui fait remarquer son modèle, l’ingénieur Caproni, qu’il ne rencontre qu’en rêve, les avions sont à la fois des objets magnifiques et des objets maudits. Après tout ne sont-ils pas destinés à être récupérés par l’armée pour faire la guerre ?
De là toute l’ambivalence du film, partagé entre l’innocence de Jiro et de ses proches (on pense en particulier à la belle Nahoko, grand amour du héros, hélas atteinte de tuberculose) et le spectre grandissant de la guerre. La crise économique mondiale des années 1930 est ainsi évoquée. Et Jiro devient l’un des ingénieurs phares de Mitsubishi où il conçoit le A6M, aussi surnommé « Chasseur Zéro », qui deviendra tristement célèbre pour être l’avion des kamikazes. La dichotomie entre les aspirations des personnages et la réalité de la Seconde Guerre mondiale est amplifiée par la représentation du vol des avions, visuellement assimilés à de grands oiseaux, symbole de liberté créatrice (pour ne pas dire de liberté tout court), lorsque Jiro les imagine dans ses rêves ou lorsque les premiers prototypes sont testés. Les rares images montrant des avions belliqueux révèlent le caractère autodestructeur de la guerre. En effet, le film nous montre alors des avions détruits, tombant en miettes, presque sous le coup de leurs propres obus. De ce point de vue, on ne peut nier le caractère éminemment pacifique de l’ultime œuvre du maître de l’animation japonaise.
Mais l’intérêt du "Vent se lève" ne s’arrête pas là. Il réside aussi dans l’histoire d’amour entre Jiro et Nahoko, deux êtres faits pour s’aimer mais irrémédiablement séparés par la maladie de la jeune femme qui aura raison d’elle. Associée au vent — lors de leur première rencontre, elle cite la première partie du vers de Valéry —, Nahoko finit par se confondre avec le rêve d’avions-oiseaux libres dans les derniers plans du film. Belle éphémère dont la pureté était destinée à disparaître, à l’instar des merveilles aéronautiques créées par Jiro.
"Le Vent se lève" est aussi et avant tout un film sur la création et une œuvre métaphysique sur la nécessité de vivre malgré tout, en dépit des horreurs du monde et même si ceux qu’on aime ne sont plus là. La référence à Paul Valéry n’est ainsi pas anodine. Le vers « Le vent se lève, il faut tenter de vivre » est extrait du poème "Le Cimetière marin", longue méditation métaphysique sur le temps et la contradiction, d’une part, entre conscience et existence, et, d’autre part, entre conscience et corps. Au cours du poème, le sujet est tenté par la mort avant d’écarter cette tentation pour lui préférer la vie et notamment la création poétique. De même, Jiro est constamment plongé dans un état de contradiction entre ce à quoi il aspire et la réalité de son existence dans un monde qui se prépare à la guerre.
Pour ses adieux à la réalisation, Hayao Miyazaki nous offre une œuvre empreinte d’humanisme qui nous rappelle encore une fois qu’il faut chérir ce qu'il y a de meilleur en l'homme.