Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

Ce toit tranquille où picorent les focs

Bon, parlons de « Le vent se lève ».
Dur. Je ne sais pas du tout comment expliquer mon ressenti. En fait, ça se résume à «je ne comprends pas».
Je ne comprends pas quelle histoire on a voulu nous raconter. J’ai une série d’hypothèses, et pour chacune, quelque chose dans la façon dont le film est fait ne colle pas.
Première hypothèse. C’est l’histoire d’un homme qui consacre sa vie à la construction d’un avion. C’est si important pour lui que, lorsqu’il rencontre une femme tuberculeuse et qu’il l’épouse, il ne peut pas migrer avec elle vers des climats plus sains où elle a une chance de guérir. Pour qu’il n’ait pas à renoncer à la construction de son avion, elle reste toute seule pendant des journées entières, sans assistance médicale, mal soignée, ne voit son mari que très brièvement avant de s’endormir, et n’exige même pas qu’il consacre ce bref temps à lui tenir compagnie, acceptant qu’il continue à travailler pendant qu’elle n’a rien d’autre à faire que s’endormir, pour se réveiller le lendemain seule et passer seule les dernières journées qui lui restent à vivre, sans espoir de profiter de sa vie avant que la tuberculose l’emporte. Lorsque l’avion est enfin prêt et que le mari pourrait enfin consacrer du temps à sa femme, c’est trop tard, elle sent qu’elle va mourir, alors elle s’enfuit, sans rien dire, pour qu’il ne la voie pas mourante. Et l’avion pour lequel elle a renoncé à ses seules chances de bonheur sur Terre, c’est l’avion des kamikazes, un outil de mort. Bref, c’est une tragédie.
Sauf que… Si c’est cette histoire-là qu’on a voulu nous raconter, pourquoi est-ce que la construction de l’avion, mort de la fille, mort des pilotes, est malgré tout présentée comme quelque chose de positif ? Pourquoi est-ce que la conclusion est que le garçon a bien fait de laisser mourir sa femme pour construire cet avion, plutôt que de partir avec elle à la montagne, où elle avait une chance de guérir ? Pourquoi est-ce que le mari lui-même est présenté par tout le monde comme « un gars bien » ? Pourquoi le choix de laisser sa femme mourir plutôt que d’arrêter son avion, et ce, contre l’avis de sa sœur médecin et CONTRE L’AVIS DE SON PATRON, celui-là même qui lui a demandé de construire l’avion à la base, est présenté comme le bon choix ? D’autant que l’avion en question ne sera pas un outil de progrès, mais un outil de mort.
Deuxième hypothèse : c’est l’histoire d’une femme qui, avant de mourir, inspire à son mari la création d’un avion, et, de fait, aura accompli quelque chose dans sa vie malgré la maladie.
Sauf que… Si c’est cette histoire qu’on a voulu raconter, pourquoi ne met-on absolument pas en scène le fait que la présence et l’amour de sa femme aide le mari à concevoir son avion ? L’idée de l’avion, le garçon l’avait déjà bien avant de rencontrer la fille. D’accord, ceux qu’il a conçus avant de rencontrer la fille se sont tous écrasés. D’accord, il y a cette scène de l’avion en papier, qui est dans la bande annonce et qui m’avait donné la fausse impression que c’était cette histoire-là qu’on avait l’intention de nous raconter. Le garçon essaye d’envoyer à la fille un message sous forme d’avion en papier, les premiers qu’il conçoit s’écroulent, alors il les refait, refait, re-refait encore jusqu’à ce que l’avion en papier vole. Mais ce n’est qu’une scène. On croit que, de cette conception d’avion en papier, le jeune homme va trouver la solution pour que ses vrais avions restent en l’air, mais si c’est le cas, ce n’est pas montré. Le reste du film, rien n’est mis pour qu’on ait l’impression qu’il fait l’avion pour la fille, qu’elle l’inspire, qu’elle est sa motivation. Il suffirait d’une réplique de temps en temps. Il suffirait de le montrer sur le point de renoncer à l’avion et elle « non, ne renonce pas, pour moi, ne renonce pas ». Il suffirait qu’il lui parle de son travail, et qu’elle fasse des commentaires, même des commentaires de néophyte, mais que le fait d’en discuter avec elle lui clarifie les idées et l’amènent à trouver des solutions pour améliorer son prototype. Ca aurait suffi. Mais ça n’y est pas. Le gars construit l’avion. La fille meurt à côté. Aucun lien de cause à effet n’est jamais établi entre les deux événements.
Et surtout, si cet avion doit être la seule chose que la fille aura accompli pendant le bref temps où elle est en vie, le fait que cet avion devienne l’avion des kamikazes signifie qu’il aurait mieux valu que la fille crève et que le mec, de désespoir, ne termine jamais cet engin de mort. C’est cynique. Et je ne pense pas que Miyazaki soit cynique.
Troisième hypothèse : c’est l’histoire d’un gars qui construit un avion. Il y met son cœur et son âme, et à la fin, ces salauds d’hommes transforment son œuvre en machine de mort.
Sauf que… Pendant une part conséquente du film, on arrête de parler de cette histoire d’avion pour parler d’une fille tuberculeuse dont on se demande bien ce qu’elle vient faire dans l’histoire d’avion. Et ce qu’elle vient faire ne nous est pas expliqué, parce que, comme je l’ai dit, le rôle de la fille dans la création de l’avion n’est pas mis en scène. Le mec dit, une fois l’avion créé « je n’y serais jamais arrivé sans toi » mais on n’y croit pas. On l’a vu bosser sur son avion avant de la rencontrer, on l’a vu bosser sur son avion après, et on n’a noté aucune différence dans sa façon de bosser avant et après. Si, il y serait parfaitement arrivé sans elle.
Au passage, pendant la première moitié du film, s’il rêve quelques fois de l’avion qu’il va concevoir, on ne le voit pas faire preuve d’un quelconque talent pour l’ingénierie. On voit son meilleur ami faire preuve de compétence. On voit son patron faire preuve de compétence. On voir ses rivaux allemands faire preuve de compétence. Lui, non, et pourtant son meilleur ami dit qu’il porte l’avenir de l’aviation japonaise sur le dos. Ca ne vous énerve pas, vous, dans un film, quand les personnages disent « tel personnage est vraiment formidable » mais qu’on ne nous montre en rien en quoi il est formidable ?
Quatrième hypothèse : C’est l’histoire d’un garçon qui rencontre une fille, et ils sont faits l’un pour l’autre, mais une horrible maladie les sépare.
Sauf que plus de la moitié du film est consacré à une histoire d’avion sans rapport avec l’histoire d’amour, et on se demande bien ce que cet avion vient foutre dans cette histoire d’amour, parce que, comme je l’ai dit deux fois, le rapport entre les deux n’est pas mis en scène. Plus encore, l’amour que le garçon éprouve n’est vraiment montré que dans cette scène où, apprenant qu’elle a craché du sang, il quitte le refuge où il se cachait de la police militaire pour aller la rejoindre, continue à travailler dans le train mais pleure sur ses notes. Ensuite, il l’épouse, la range dans son pavillon, et va la voir une heure par soir, sans cesser de bosser un petit quart d’heure pour lui consacrer du temps, faudrait pas charrier les bégonias, quand même.
D’accord, c’est le Japon des années 30. D’accord, l’idée qu’une femme, c’est une personne, et que ça mérite de l’affection, ça devait être totalement étranger à l’état d’esprit de cet époque. Mais là, on est censé mettre en scène le fait que cet homme est amoureux. Et à partir du moment où il l’épouse, on ne le montre plus. Comme s’il s’était immédiatement lassé d’elle maintenant qu’elle lui appartient, comme un trophée qu’on range sur une étagère.
Sur Twitter, j’ai lu qu’on remarquait que certains de ses collègues mariés, eux, ne rentraient même pas pour rejoindre leur femme, le soir. Je ne me rappelle pas avoir vu ça, (en fait, je ne me rappelle pas avoir vu un seul de ses collègues évoquer le fait qu’il est marié, à part le patron qui héberge les deux tourtereaux et rentre voir sa femme, lui, et plus tôt que le héros de l’histoire, sa sœur médecin le lui reprochent, d’ailleurs) mais admettons que je l’ai loupé.
Bref, je ne comprends pas ce film. Les images sont magnifiques, la musique classique très bien, entendre des japonais citer Paul Valery est assez jouissif, mais vraiment, je n’ai pas saisi où le film voulait en venir. Et venant d’un cinéaste de talent comme Miyazaki, j’ai du mal à m’y faire.
Sinon, pour ceux que le reste du poème de Paul Valery intéresseraient…
http://www.feelingsurfer.net/garp/poesie/Valery.CimetiereMarin.html
tchoucky
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le 3 févr. 2014

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