Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

En allant voir le dernier Miyazaki, du moins celui qui fut annoncé par Hayao comme étant le point de sa carrière, j’avais l’impression d’avoir douze ans, cinq balles dans ma poche, déposé par mes parents devant le cinéma pour aller voir Le Château ambulant. J’étais ressorti les yeux grands ouverts et peut-être avec des larmes dedans, et je venais de découvrir un poète du film d’animation.
Le jour où j'ai vu celui-ci, à la sortie de la salle, le vent soufflait bien fort, comme une jolie coïncidence.

"Le vent se lève, il faut tenter de vivre", pour compléter la citation de l’autre poète Paul Valéry (en français dans le film), ce n’est pas un conte merveilleux et interlope comme Chihiro, Mononoké et certains autres. Le ton est donné sur un synopsis qui ne s'avère pas à première vue aussi passionnant (à mon goût) : il s’agit d’une adaptation de la biographie de Jiro Horikoshi, un illustre ingénieur aéronautique, courant de son enfance jusqu’au début de la Seconde Guerre Mondiale. (Attention, dès maintenant, ça va spoiler et je préfère prévenir.) Un cadre judicieusement choisi, puisqu’au lieu de mettre l’homme face au triste destin de ses machines, il ne révélera que sous forme de rêve que les Z-60, dont il est le concepteur, seront massivement envoyés vers le Pacifique emplis de kamikazes. Lorsque le vent se lève, une bourrasque emporte le chapeau de Jiro qui prend le train ; une jeune fille le rattrape, le vers de Valéry est échangé de connivence. Puis Tokyo prend feu sous les déferlantes d’un tremblement de terre aussi fulgurant que les dessins de Miyazaki en sont démesurés.
À partir de ce moment, Le vent se lève trace la structure croisée de Jiro, devenant un ingénieur renommé, de sa soeur Kayo qui aspire à devenir médecin, et de cette jeune fille longtemps anonyme qu’il ne retrouvera que des années plus tard, en train de peindre le paysage dans un clairière où le vent, à nouveau, se lèvera pour faire écho à leur première rencontre : il y rattrapera son ombrelle envolée. Cette construction paraît inéluctable dès lors qu’on la replace dans la veille d’une guerre que l’on sait sur le point d’éclore : alors que Jiro œuvre à la conception des chasseurs qui vont déferler sur l’Occident pour détruire et être détruits, sa soeur s’oriente précisément à l’exact opposé — le soin des futurs millions de blessés ; tandis que Naoko est l’image de la recréatrice tranquille et détachée. Pourtant le seul désir de Jiro (comme celui de son homologue italien Giovani Caproni, sorte de mentor onirique présent dans ses nombreux rêves), est de fabriquer de beaux avions, naïvement ; leur dessin seul compte, et ce, peu importe leur dessein.

L’ennui, la longueur, et pourtant un sentiment d’étrangeté et de mélancolie me prennent le corps en sortant de ce film marquant à vie. Il n’est sans doute pas le meilleur des Miyazaki, que ce soit au niveau du scénario comme de l’image — et pourtant, dès les premières minutes, un fait m’a frappé : pour ce que cela puisse avoir de valorisant, Hayao Miyazaki n’est pas qu’un artiste qui fait des films d’animation, il est un Cinéaste. Il construit ses plans et films ses arrière-plans (les « décors » à l’aquarelle) avec la rigueur d’un homme qui filme un pan de réel ; un carrefour de village, la circulation du vide dans la nuit, un coin de pavillon, il n’est pas même nécessaire qu’un corps entre dans ces cadres pour qu’ils paraissent enfin bons à quelque chose. Le désir d’avions de Jiro est le désir d’images de Hayao. Comme il est un poète, il peut se le permettre ; d’ailleurs, en parlant de longueur, je n’ai pu m’empêcher de penser au Voyage à Tokyo d’Ozu, dont émane la même contemplation sereine sur des individus vénérables, au cœur d’un monde en proie au chaos (Le vent se lève) ou venant juste d’être mis en ruines par lui (Voyage à Tokyo, après la guerre).

Tout en souhaitant une bonne retraite au fécond héros de l’animation japonaise, il nous reste à espérer deux choses pour notre égoïste et privé plaisir : que le fils Goro fasse perdurer le patronyme, et que les annonces de retraite d’Hayao soient aussi définitives que celles d’Hideo Kojima (ou de 50 Cent)…

Créée

le 28 août 2014

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