Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

J’admire Hayao Miyazaki et j’aime les avions. L’annonce de la sortie de l’ultime création du vieux Maître consacrée au concepteur du mythique Zéro m’électrisa. C’est avec anxiété que je pénétrai dans la salle obscure… Ce fut merveilleux. Le pitch est simple. Le jeune Jirō Horikoshi est myope et peine à observer les étoiles. Il ne pourra piloter d’avion, alors, il les dessinera, les construira. Il connaîtra l’amour avec Nahoko et l’amitié avec Honjo. Hayao rend hommage à Miyazaki Airplane, l’entreprise familiale sous-traitante de Mitsubishi, qui lui a donné l’amour de l’aviation et du dessin


Ce onzième film surprendra les admirateurs de Totoro, décevant les plus juvéniles. Pourtant, nous retrouvons moult des passions du Maître :
• Son amour des années trente, un temps où la tradition cohabitait avec la modernité naissante, où religions et croyances ancestrales n’avaient pas été ravalées au rang de folklore à touristes. La reconstitution est particulièrement soignée, au point de faire appel à une femme sachant porter le kimono, mais aussi le plier et le ranger.
• Son penchant pour l’Europe (Le château Ambulant) et sa culture humaniste. Le titre est une citation du Cimetière marin de Paul Valéry et le mystérieux et dissident Castorp porte le nom du personnage principal de La montagne magique de Thomas Mann.
• Son amour pour l’aviation, et plus encore pour le vol, qu’il soit naturel (l’esprit Haku du Voyage de Chihiro) ou permis par la technique (Porco Rosso ou le robot du Château dans le ciel).
• Son travail de coloriste, vous apprécierez les costumes parme de Jirō, le vert printanier des herbages, le bleu céleste, le rouge passé des emblèmes nippons ou le rose des kimonos et des cerisiers.


L’accent porté au mal et à la souffrance évoque irrésistiblement le Tombeau des lucioles de Takahata. Jirō est confronté aux quatre cavaliers de l’Apocalypse : Maladie (la tuberculose de son épouse), Famine (les victimes de la crise), Guerre (chinoise et bientôt mondiale) et Mort (la police secrète, ses arrestations arbitraires et les disparitions). Mitsubishi le protègera tant qu’il lui sera utile.


La note réaliste limite le recours au fantastique à deux courtes scènes :
• La magnifique séquence où l’ile de Honshū s’ébroue brutalement et souffle comme une bête. Imprégnée d’animisme, elle renvoie les humains à leur insignifiance. Tokyo s’embrase, la scène préfigure sa destruction sous les bombardements américains.
• Discrètement, la douce Nahoko remercie la source miraculeuse pour l’accomplissement de son vœu.


Miyazaki compense les limites posées au merveilleux, par une immersion dans les rêves de Jirō, des songes persistants et récurrents d’avions et de vols. Dès la première scène, le jeune garçon survole la ville assoupie. Plus surprenant, il s’y lie au comte Giovanni Batista Caproni, célèbre constructeur italien : « Vous êtes dans mon rêve ! (…) Les avions sont des rêves merveilleux qui ne devraient jamais servir à faire la guerre ou à gagner de l’argent ». Miyazaki joue admirablement avec les transitions oniriques et le flou entre illusion et réalité. Mieux, les scènes fantasmées comptent parmi les plus belles, les plus précises et les plus bavardes.


Que nous dit le Maître ? Les aéroplanes sont de sublimes créations, que les puissants transforment en armes. Il reprend le lieu commun du « pic de créativité limitée à dix années », si l’ânerie est contredite pas la longévité de la carrière de Miyazaki, elle offre une commode justification à l’égoïsme de son héros. Car, pour la première fois, il nous livre une véritable histoire d’amour. Jirō courtise sa belle avec des avions en papier, pourquoi pas. Il sait que sa femme est malade. Nahoko accepte qu’il lui préfère ses machines : « la vie est si belle certains jours ». On fume beaucoup. On tousse et crache. Elle mourra seule.


Jirō rêve encore. Ses Zéro décollent pour rejoindre le Valhalla des aviateurs entrevu par Porco Rosso. Caproni lâche : « Certains avions partent pour ne jamais revenir, ils sont comme des rêves sublimes et maudits qui se laissent engloutir par l’immensité des cieux ». Jirō est seul, son pays détruit. L’esprit de Nahoko l’invite à vivre sa vie, avant de disparaitre. Caproni conclue : « Accrochez-vous à la vie, il faut tenter de vivre ».


PS1 pour technophiles : Le Japon est au main d’une coterie de militaires bellicistes décidés à édifier leur Sphère de coprospérité de la grande Asie orientale ! L’industrie peine à rivaliser avec ses homologues occidentales. La Marine exige un chasseur à long rayon d’action… Voler sur de telles distances requiert plus d’essence, soit du poids supplémentaire et donc un moteur puissant pour enlever le tout, un engin dépassant les capacités nippones. A moins de réfléchir différemment : Jirō sort du cadre en concevant un poids plume. Grâce à une structure interne révolutionnaire dépourvue de blindage, à un nouvel alliage et un armement réduit, le Mitsubishi A6M Zéro pèse 2,5 tonnes en charge et son propulseur de 925 chevaux lui procure une manœuvrabilité diabolique. Sa fabuleuse autonomie de 2600 km déjoue les pronostics alliés et lui confère une inquiétante réputation d’ubiquité. Il régnera sans partage deux ans jusqu’à que Yankees mettent la main sur un exemplaire et découvrent ses talons d’Achille… Les lourds Mustang (5,5 t., moteur 1700 ch) et Thunderbolt (8 t., 2300 ch) prendront définitivement le dessus.


PS2 Le maître a ravi ses amis en annonçant travailler sur une version longue de son court métrage Boro la petite chenille.


Filmographie de Hayao Miyazaki

Créée

le 30 janv. 2017

Critique lue 2.8K fois

73 j'aime

9 commentaires

Step de Boisse

Écrit par

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73
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