Harmonie: nf (4) Effet produit par un ensemble dont les parties s'accordent, s'équilibrent bien entre elles. "Harmonie de couleurs" (5) Concordances, correspondances entre différentes choses. "Harmonie de points de vues" syn. Conformité (6) Bonnes relations entre des personnes. syn. Entente (source : Dictionnaire Hachette, édition 2005)

En voilà un film qui n’est pas du tout à l’image de son titre. Si Aslan cherche l’harmonie, ou plus simplement la tranquillité dans ce collège où la vie est totalement différente de son quotidien rurale, il est bien le seul. Rapidement pris pour tête de Turque, il se fait maltraité et mettre au ban par ses camarade. La vie devient difficile pour lui, littéralement traumatisé par certains de ses supplices, il mettra progressivement un plan de vengeance au point.

Si l’image est très belle, les cadres parfaits, la mise en scène irréprochable et l’histoire parfaitement menée, ce sont biens les seuls éléments harmonieux présents. Emir Baigazin est choquant, et il semble en éprouver un malin plaisir. Au travers d’un système collégial mafieux puis d’un système judiciaire abusif, le long-métrage dénonce de bout en bout la loi du plus fort. Si les différentes instances présentées rappellent instamment la situation quasi dictatoriale du Kazakhstan ; la maltraitance envers les animaux et plus particulièrement le dispositif crée par Aslan pour électrocuter des cafards, étend la comparaison à toute l’espèce humaine. Quand tu as le pouvoir, tu l’utilises pour écraser les êtres qui sont insignifiants à tes yeux. Le Kazakhstan n’est pas le centre du monde et ses dirigeants ne sont pas pires qu’ailleurs. Tout le monde est fautif, l’humanité entière semble abjecte aux yeux du réalisateur. Le fait de suivre toutes les péripéties dans les mêmes espaces et de nous rappeler constamment qu’au Happylon on y oublie tous nos soucis, alors que c’est à cet endroit que toute la désillusion frappera, applique à la lettre cette pensée.

Leçons d’harmonie est une sorte d’application cinématographique d’un oxymore. Ultra contemplatif, le film se regarde pourtant difficilement. C’est une continuelle opposition. À l’image d’Aslan, irrémédiablement calme et posé, indéfectiblement sage mais devenu psychologiquement inhumain et manipulateur. À l’image de cette société pourrie où les gens sont foncièrement mauvais mais où un personnage spontanément juste et altruiste apparaît. Le métrage dénonce ce qu’il montre, ou l’inverse. Les propos sont dérangeants, les images sont choquantes, la violence est exacerbée et pourtant l’ambiance est à peine froide, le rythme plutôt lent, aucun ressort cinématographique ne pousse à l’inquiétude ou à l’angoisse. Très peu de musiques, relativement peu de dialogues, on subit, mais on n’y est jamais forcé.

Le réalisateur ne se le cache pas. Au bout de cinq minutes de film on sait pertinemment à quoi s’attendre et le spectateur est immédiatement invité à quitter les lieux si cela ne lui plaît guère. Seulement il y a un petit souci. Si le monde entier peut se désespérer de tous les conflits présents dans le monde, s’il peut être dépité de voir à quel point l’humanité est désespérante, faut-il forcément persécuter le spectateur à ce point ? Emir Baigazin franchit un cap. Il en a marre de tous ces films aux pseudos messages de sensibilisation, il veut que ça change alors il le fait comprendre. Cependant, soit le public sera trop ignare pour saisir le sens du film, que ce soit visuellement ou « interprétativement », soit s’il le comprend c’est qu’il est déjà au moins en partie du même avis. Là où les questions commencent à devenir intéressantes, c’est sur la nécessité d’atteindre un tel point dans ce qui est montré. Des films sur ce genre de messages, il y en a plein, qu’ils soient dramatiques ou humoristiques. Et des films avec un scénario similaire, il en existe également. Seulement force est de constater qu’ils n’atteignent jamais véritablement leur but. Il faut attendre l’arriver d’un réalisateur kazakh pour passer à la vitesse supérieure. Si on en est à un point où l’on est obligé de montrer l’exécution pure et simple d’un animal à l’écran, et ce pendant une longue durée, sans que ce soit un documentaire, pour se faire entendre, autant dire que ce que touche le film est bien plus inquiétant qu’il n’y paraît et il vaudrait mieux s’interroger sur la légitimité de l’acte plus que sur la violence de celui-ci.

Et c’est sous ces couverts de perfectionnisme cinématographique que se cache le cadeau sombrement empoisonné. Si les éloges sur ce film pleuvent dans la sphère cinéphilique, il subsiste encore quelques points désagréables. Comme il semble primordial de nous rappeler, telle une litanie dictant notre mode de vie, que le cinéma est un art, oui le septième, rappelez-vous en, est-il constamment nécessaire de nous rappeler qu’il se doit d’être intellectuel ? Assister à ce genre de scènes qu’offre le film est rarement très apprécié. Dans les documentaires, pour une raison parfaitement inconnue, plus c’est réel mieux ça passe, toujours avec ce même degré d’élitisme. Ici, puisque c’est de l’art, on ne peut pas non plus s’en insurger. A force de vouloir trop tirer sur la corde, on finit par atteindre la violence gratuite, c’est ce dans quoi tombe, à mon sens, Leçons d’Harmonie, qui, cherchant tellement à atteindre son objectif, finit par être plus ridicule qu’il ne peut l’être. Ridicule, ou plutôt profondément frustrant, voire littéralement rageant.

Cependant comme le film est soigné de bout en bout, il en va de même sur le choix de la mise en scène, en conséquence on se tait et on accepte. Le message est on ne peut plus clair, c’est tout ce que souhaite le réalisateur. Plus la vérité est flagrante, plus celle-ci blesse, force est de constater que le dicton dit vrai. On nous propose enfin une des rares fins ouvertes acceptable. Malgré le plan finale anormalement comique, il se clos au strict bon moment. Même si l’on est persuadé de comment cela se termine, l’infime partie de doute subsiste, et c’est tout ce qu’il faut à une fin ouverte. Le but n’est pas de couper la scène un millième de seconde plus tôt ou plus tard et « on verra l’effet produit ». Inutile non plus que le spectateur soit vraiment mitigé quant aux événements postérieurs, c’est purement et simplement une question de précision. Et cela est d’autant plus réussi dans le fait de ne pas montrer, contrairement à la première partie du film, certains actes de violence. Si bien qu’à la fin, lorsqu’on remonte temporellement chaque acte, le doute finit par l’emporter.

Et autant dire que Leçons d’Harmonie ne mettra personne d’accord, si l’on peut tous s’accorder sur sa qualité visuelle, ses propos marquants empêcheront l’unanimité. On ne peut pas remettre en doute le talent incontestable de Picasso pour sa peinture, et pourtant nous ne sommes pas tous admiratifs de ses toiles.
Notry
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le 18 avr. 2014

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