Regarder Legend aujourd'hui, c'est se rappeler que Sir Ridley Scott est un formidable touche à tout, qui aura voyagé sur toute la largeur du spectre offert par le media cinéma. Il en aura aussi exploré toute les fortunes, dès le début de sa filmographie : Succès d'estime critique dès son coup d'essai, Les Duellistes, reconnaissance immédiate pour Alien, puis les revers et les bides, tout d'abord avec Blade Runner et immédiatement après, Legend.


En isolant les deux derniers cités, il est frappant de constater qu'avec les mêmes ingrédients, ils ne partagent pourtant pas, loin s'en faut, le même héritage.


Le monde dépressif de Blade Runner, baigné de science fiction et battu par une pluie incessante, sera réhabilité et accèdera au statut de culte, de pilier de la cinéphilie, qui sera redécouvert au gré des différents montages, imposés par ses producteurs et les projections tests, ou mus par la volonté de son réalisateur.


Le monde a priori plus lumineux de Legend, lui, et malgré ses trois versions, tombera tout simplement dans les limbes de la mémoire collective. Avant d'être raillé, au pire, ignoré, au mieux, en étant taxé de simplisme, en lui reprochant la prestation de jeunesse de Tom Cruise.


Le dédain de beaucoup est donc consommé, voyant une orientation jeune public devant le conte de fées exploré par Ridley Scott, mêlé de nombreuses citations de pure fantasy, loin d'être encore totalement goûtée en 1985.


Legend, Sir Ridley y songeait depuis Alien. Et avant même de s'engager sur Blade Runner, il requit les services du romancier William Hjortsberg pour rédiger un scénario. Qui se nommait Legend of Darkness. Un scénario trop touffu, trop coûteux au regard de la technique de l'époque, réécrit un nombre incalculable de fois, que Scott choisit d'élaguer à l'extrême pour restituer l'essence et la simplicité originelles du conte de fées et ses inspirations poétiques.


Dans un univers monde à la mesure de ce qui anime le réalisateur britannique, et plus particulièrement ses aspirations visuelles, à l'égale de celles déployées pour donner vie à la mégapole de Blade Runner.


Car ici, chaque maquillage spécial se montre superbe et travaillé. Celui de Darkness, bien sûr, mais aussi celui des gobelins à sa solde et des monstres rencontrés par Jack.


Car ici, chaque plan s'impose comme une harmonie et se compose comme un véritable tableau, dense, au décor ultra ambitieux et riche de couleurs. Un esthétisme vertigineux entre les verts gourmands d'une nature fantasmée et souveraine, et les orangés ombrés de la tanière d'un Darkness ultra charismatique et inoubliable.


Un monde moins simpliste qu'il n'y paraît dans les archétypes, les symboles et les références convoquées. Les regards de Gump, et ses attitudes, ne sont tout d'abord pas sans rappeler ceux de Gollum, tout droit sorti du magnum opus de Tolkien. Et si l'innocence de Jack, garçon des bois qui n'a d'yeux que pour sa princesse, est évidente, celle de Lili est plus trouble, plus sombre. Présentée comme espiègle, solaire, et chantant comme dans un film de Walt Disney, c'est cependant par elle et son égoïsme que le ténèbres s'abattent sur son monde enchanté. La licorne qu'elle approche figure à l'évidence l'arbre de la connaissance. Tout en restant en tous points conforme à son imagerie traditionnelle : elle ne peut être touchée que par une vierge, tout en représentant l'union des contraires, que ce soit le monde souterrain allié à la forêt luxuriante, l'ombre et la lumière, Jack et Darkness, et la dualité intime de Lili. Qui culmine dans cette danse démoniaque, obsédante, perturbante, la voyant irrémédiablement épouser sa part d'ombre et de désir trouble, dans un duo qui pourra rappeler le climax du Lac des Cygnes.


Lili s'impose aussi comme la tentatrice, une nouvelle Eve qui fait fi des avertissements de Jack ou tourne la tête du démon, tout en cédant à ce qu'il y a de plus noir en elle. Elle emprunte aussi les traits de Pandore, le temps d'ouvrir un coffret offert et de tomber sous l'influence du prince des ténèbres.


Plus Legend avance, plus la part sombre d'une Lili égarée qui s'empare du cadre, tandis que Ridley Scott entraîne peu à peu le conte lumineux dans une atmosphère saisissante, oscillant entre le cauchemar et le glauque, convoquant à l'occasion tout un passage de La Belle et la Bête, le temps d'une tentative avortée de dîner. Un conte dépourvu, avec Legend, du classique livre s'ouvrant sur les mots "Il était une fois" pour mieux plonger son public dans un monde enchanteur dual qui fait finalement référence aux tendances animant l'esprit humain.


Et si la fin de l'histoire, en version director's cut, apparaît tout d'abord heureuse, avec son retour dans cette forêt luxuriante baignée de lumière et la réunion de Jack et Lili, celle-ci n'est qu'éphémère, la princesse de séparant de son garçon des bois pour lui assurer de revenir demain. Comme si l'amitié n'avait pas évolué en quelque chose d'autre. Au contraire de Lili...


Behind_the_Mask, qui porte bien les cornes.

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le 24 juil. 2020

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