Au cœur des années trente, Alfred Hitchcock a déjà plusieurs films à son actif. Avec *The 39 Steps*, il pose les bases de ce qui fera son succès en développant 


un suspense à la patine comique



autour d'un innocent embarqué dans une aventure qui le dépasse, le tout servi avec une belle efficacité de mise en scène dans une atmosphère encore expressionniste qui préfigure pourtant, avec quinze ans d'avance, l'âge d'or du polar américain.


Richard Hannay ramène chez lui une jeune femme qui, rapidement, lui avoue être une espionne dans la ligne de mire d'une mystérieuse organisation prête à faire fuiter quelques avancées aéronautiques britanniques pour le compte de l'étranger. Dans la nuit, celle-ci est assassinée et confie au pauvre bonhomme la tâche de poursuivre l'enquête et d'éviter que le secret industriel ne quitte la mère patrie. Accusé à tort du meurtre, Hannay se retrouve embarqué dans une cavale qui le voit s'échapper de Londres pour rejoindre l'Écosse où il est supposé retrouver un homme capable de l'y aider.
Si le pitch rappelle un procédé que le cinéaste réutilisera par la suite, il faut là voir le soin particulier apporté à la mise en scène, les utilisations oppressantes de la surimpression, les libertés formelles - parfois sensuelles - du cadre, la lumière et l'atmosphère pesantes d'extérieurs où les personnages se laissent avaler, ou encore cet art certain du montage. Mais ce qui fait le réel plaisir de *The 39 Steps*,


au-delà du suspense, c'est l'humour omniprésent :



dialogues, situations, regards et réactions, le réalisateur cabotine et le spectateur rit, régulièrement. Ainsi, entre tension et détente, le métrage tient l'haleine et court, longs souffles, autant sur les nerfs que sur les zygomatiques, offrant là un film d'une rare modernité en cette première décennie du cinéma parlant.
Je reviens un peu sur la lumière : on retrouve le plaisir des contrastes entre de fastueux intérieurs lumineux où rien ne peut se dissimuler et des extérieurs sombres et lugubres – la séquence de fuite au cœur d'une nuit de brume écossaise est assurément un petit monument du cinéma ! À côté de ça, d'autres séquences d'intérieur nuit sont tout aussi saisissantes d'angoisse, c'est le cas notamment de cette scène presque introductive dans l'appartement de Richard Hannay ou de ce refuge crépusculaire dans une ferme isolée. Les visages et les gueules y sont toujours soulignés avec



une sévère justesse prête à craquer de tension



et les décors y sont sublimés d'un faux équilibre naturel jamais innocent. Superbe.
L'autre point fort du métrage, comme souvent chez le maître, c'est le casting. Robert Donat, jeune premier britannique issu du théâtre classique, incarne un innocent avenant avec lequel l'identification est immédiate : son absence de back-up amène aisément tout un chacun à trembler à ses côtés, et la douceur de son visage facilite cet humour détaché qu'il pratique parfois sans même s'en rendre compte. Madeleine Carroll incarne Pamela, une jeune femme qui lui viendra finalement en aide : probablement l'une des premières blondes fatales de l'œuvre d'Alfred Hitchcock, femme forte et déterminée, c'est son implication tardive qui vient ramener le spectateur au suspense quand la narration tend à s'essouffler.


Sans être un chef-d'œuvre – difficile à travers le catalogue du cinéaste de se faire une place au sommet – *The 39 Steps* marque une étape importante dans la carrière d'Alfred Hitchcock. Succès outre-Atlantique, il pose 


l'essence de ce que Hollywood attendra du réalisateur



lorsque celui-ci y sera invité. Et si le métrage peut paraître cabot, c'est justement là que s'y trouve son charme résolument moderne, ce mélange des genres équilibré fait l'intensité de la narration et la puissance du spectacle.
Pour cet humour so british, si léger autant qu'efficace, pour son atmosphère générale et sa beauté graphique intense et expressive, The 39 Steps est assurément un des films d'Alfred Hitchcock sur lequel ne surtout pas faire l'impasse.

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le 22 août 2018

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