Après une période cinématographique franchement inégale au Etats-Unis et cinq ans d'absence, John Woo nous revient avec son projet le plus ambitieux depuis sa période HK en renouant avec le genre du WXP par lequel il a commencé : l'adaptation de la fameuse histoire des Trois royaumes, une littérature dépeignant la fin de la dynastie Han, une période aussi connue et flamboyante pour les chinois que le sont pour nous L'Iliade et L'odyssée de Homère, portant également sur la désunion nécessaire pour que l'harmonie règne entre les peuples. Un film d'une longueur elle-même épique (4h30), qui passe vraiment bien, sans aucune scène de trop, ce qui est déjà un exploit en soi. Cette version longue a été distribuée en deux parties, mais la coupe est parfaite puisque la première partie représente tout ce qui précède la grande bataille de la "Falaise rouge", alors que la deuxième décrit l'escalade progressive vers l'explosion de la bataille finale.


Le sentiment qui ressort de la première partie, c'est le fait que John Woo inscrit ici ses lettres d'or dans l'histoire du cinéma épique moderne, au moins aussi bon en comparaison que Kingdom of Heaven ou Alexandre dans leur version remontée. Après une brève introduction, le film nous projette immédiatement dans l'action guerrière : une histoire qui demeure simple malgré sa richesse apparente, privilégiant l'épopée et l'action aux détails historiques, le symbolisme simple et efficace (oui, il y a des colombes) aux explications longuettes. Durant les scènes de combat, le réalisateur applique sa science du montage et du ralenti (que j'ai rarement vu aussi bien utilisé) pour rendre ces dernières dynamiques, au carrefour du WXP et du film de guerre : ainsi nous passons facilement à des séquences impliquant les armées avec des stratégies diverses et variées, à d'autres introduisant des personnages emblématiques du style Seven swords, des héros quasiment invincibles capables d'affronter par leur technique une centaine de soldats à eux tout seuls (l'un deux se bat même en portant un bébé, un joli clin d'oeil jouissif aux oeuvres cultes du réalisateur). Or, loin d'être des batailles désincarnées, l'esprit héroïque plane en arrière-plan, comme ce choix cornélien de laisser les paysans sans défense ou de remporter la victoire (probablement une allusion aux 7 samouraïs), et le fait de laisser vivre des guerriers ennemis qui se sont battus comme des lions malgré leur défaite (en jetant un oeil au roman original, j'ai vu que l'éthique est l'un des axes principaux de l'histoire, ce que le film reproduit très bien).


Entre deux batailles franchement brillantes et lisibles dans leurs enjeux stratégiques et leurs chorégraphies, le film se pose et se révèle autant à l'aise dans la présentation des personnages et de leurs relations, qui s'accomplissent essentiellement de manière dynamique, à l'image des combats. Par exemple, une amitié et alliance militaire s'éprouvent par un morceau de musique joué à deux, et l'un des chefs retrouve son courage par une chasse au tigre, symbole du clan ennemi. Sans avoir vu la version courte, probablement que c'est toute cette partie qui a été supprimée, alors que sans toutes ces scènes j'imagine que le film pourrait être réduit à un pur film de guerre épique sans âme, tout comme le film Les 7 samouraïs a d'abord été projeté sans les passages tournant autour du village des paysans. Or, c'est un passage obligé pour y découvrir autre chose chez ces guerriers, non seulement pour les humaniser mais aussi pour découvrir quelles vertu(s) font d'eux des guerriers exceptionnels (Confucius, calligraphie, ...), et ainsi pour s'attacher à eux plus tard. Les trois personnages qui font l'affiche sont particulièrement développés, mais chacun a droit à sa petite séquence, avec en prime une touche très légère de lyrisme, de romantisme, et d'humour : on apprend par exemple que cette guerre a été motivée principalement par une femme à conquérir (Homère avait raison : la passion est le meilleur instrument pour décrire la nature conflictuelle des humains). Malgré un nombre incalculable de personnages, ce qui m'a impressionné, c'est que le spectateur ne se sent jamais perdu, tant au niveau de l'action que des relations inter-personnelles, un fait suffisamment rare, d'autant plus dans un film asiatique, pour être signalé.


Alors que les batailles "physiques" constituaient le nerf de la première partie, la deuxième s'attarde davantage sur la bataille psychologique et la stratégie. Les deux armées y mettent vraiment du leur, avec notamment l'envoi de soldats malades pour contaminer tout le camp. Cette fois-ci, l'intrigue met à l'honneur les personnages féminins, d'une part une jeune princesse, véritable garçon manqué, qui s'infiltre contre les ordres en tant que soldat entre les lignes ennemies pour recueillir des informations secrètes et ainsi prouver son utilité. Sa relation avec un soldat ennemi, malgré son incongruité, est rendue crédible car ce dernier a l'air vraiment innocent et brave, et jouera même un rôle nécessaire pour verser un peu d'émotion lors de la bataille finale et alléger son caractère légèrement manichéen. Puis d'autre part, il y a la femme du vice-roi qui s'affirme magnifiquement par son don de soi, véritable contre-valeur des valeurs guerrières. Cette teinte féminine, qui s'accompagne par une forte accentuation sur les tacticiens, a un revers important sur le développement des Seigneurs de la guerre, personnages principaux de la première partie, ce qui est normal au vu de la tendance plus psychologique des conflits : la connaissance des éléments naturels (vent, feu, brouillard, ...), de l'art du thé, et de l'art de la guerre deviennent aussi importants que magner une arme, et sont la clé pour renverser l'équilibre entre deux armées disproportionnées. Ensuite, le symbolisme est de nouveau présent, toujours simple et bienvenu pour expliquer les stratégies et les états d'esprit (le plus bel exemple selon moi, représentant le combat de toute cette seconde partie : la capacité à faire rentrer une flèche dans un pot, à savoir un coup précis et fatal, difficile mais possible). Enfin, le premier ministre, badguy du film, est montré de manière plus nuancée, avec une belle petite scène qui montre l'enjeu de sa victoire : la fin des Seigneurs de guerre, et la paix avec le développement de l'agriculture (on sent d'ailleurs que l'alliance adverse tient à un cheveu malgré leur détermination, et repose parfois plus sur l'émulation réciproque que sur un accord de principe).


La dernière bataille finale ne dure que vingt minutes environ, mais elle est douée d'un climax incroyable, faisant la part belle aux stratégies et un peu moins aux combats iconiques, aux sacrifices individuels pour le bien de tous alors que les Seigneurs de la guerre semblaient invincibles dans la première partie. Enfin, une conclusion franchement émouvante nous attend, qui laisse peu de temps aux dialogues : en un plan iconique, le futur de la Chine est résumé.


Bref, il serait presque impossible de décrire en détail chaque aspect du film tant il regorge de richesse, à la fois épique et lyrique, grave et léger, ample et compréhensible. Peut-être le film chinois qui m'a fait le plus vibrer depuis Tigre et Dragon par son lyrisme et ses séquences d'action. Les acteurs sont tous bons, justes, au charisme indéniable. La musique apporte un souffle important à l'histoire, comme tout grand film d'aventures. Un must to see, qui devrait rallier autant les détracteurs de John Woo que ses fans, car sa patte est bien présente, tout en évitant le too much qui pouvait marquer ses anciens films.

Arnaud_Mercadie
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le 27 avr. 2017

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Dun

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