Le film va diviser... Encore plus que d'habitude pour du Tarantino, mais sur le plan moral essentiellement, là où les précédents Tarantino décevaient également sur la forme, avec des films bordéliques pas toujours très maîtrisés, et peut-être un peu en roues libres. Tarantino, cinéaste démiurge s'amusant à faire tout et n'importe quoi avec ses dialogues interminables, ses personnages et situations cartoonesques over the top, ses hectolitres de sang, ça pouvait gonfler les fans de la première heure, moi compris, qui leur préféraient le réalisme, la rigueur et le sérieux des chefs d'oeuvres que constituent ses 3 premiers films.

LE TAULIER IS BACK



Là on revient aux fondamentaux, on ne s'éparpille plus (ou presque), sur le plan du cinéma c'est un régal, Tarantino pourrait nous faire 15 westerns de cet acabit, je serai ravi de tous les voir, tant il surnage avec une facilité déconcertante tout ce qui se fait à Hollywood. Bien sûr on pourra toujours chipoter sur un ou deux éléments de scénario, le léger manque d'épaisseur du mystère lorsque l'intrigue prend un tournant Agatha Christie essentiellement.


Mais Tarantino démonte avec une créativité extraordinaire tous les pièges inhérents au dispositif théâtral des unités de temps/lieu/action, car à aucun moment je n'ai perçu le moindre ennui, ni la moindre lassitude durant 3H quasi ininterrompues en huis clos dans l'auberge. D'abord grâce au chapitrage qui varie les registres du film (osant même briser le 4ème mur, lorsque Tarantino s'adresse directement au public, ce qui ne manquera pas de déstabiliser), le jeu régulier sur la timeline pour éclairer rétrospectivement des éléments qui prennent un sens nouveau inattendu comme dans du De Palma à son meilleur niveau : l'immersion est tellement élaborée, qu'on pense tout voir, tout comprendre, tout saisir, alors qu'on est mené en bateau dès le départ et qu'on a en fait rien vu. Le récit qui s'enrichit par couches progressives, les personnages qui s'éclaircissent peu à peu, la tension qui grimpe, la maestria des passages de relai pour la tenue du rôle du personnage principal. Bref, du travail d'orfèvre, des dialogues ciselés, des acteurs monumentaux (Walton Goggins a enfin un grand rôle pour exprimer tout son talent), un score magistral de Morricone (entre reprises de ziks coupées de "The Thing", et nouveaux thèmes qui rappellent "Les incorruptibles" en plus noirs et inquiétants encore), un plan séquence d'ouverture somptueux pour poser le cadre, bref c'est LA REGALADE.



TARANTINO-LAND



En terme de références, Tarantino est toujours reconnaissable entre 1000, on a ici un drôle de mélange entre du Tarantino 1ère et 2ème époque (post Jackie Brown). Ca démarre comme un western classique, plutôt pépère mais prenant, et ça dérive subitement dans du quasi-cartoon, avec une surenchère soudaine (mais plutôt bien maîtrisée) dans le n'importe quoi. Disons, qu'il est parfois difficile de déterminer s'il faut rire, ou être horrifié, tant le sort des personnages est exagérément traité, et c'est en cela qu'on retrouve les outrances d'un Inglorious Basterds ou d'un Django, il arrive encore à Tarantino de péter une durite, mais ça fonctionne beaucoup mieux ici, car tout reste soigneusement cadré, dosé et rythmé. Si ça part en sucette (je pense notamment à ces ralentis bizarroïdes en fin de film, lorsque des personnages parlent ou gémissent), c'est pour mieux se reprendre par la suite, et retrouver la rigueur du récit et des dialogues. Mais du coup ça laisse une impression d'ambigüité très forte : comédie potache, thriller horrifique et inquiétant, WTF ? Film tarantinesque, résolument.


Un réseau de correspondances étonnantes se tissent dans son oeuvre. Des scènes, sont revisitées dans d'autres contextes. Celle qui m'a le plus frappé, renvoie directement à Reservoir Dogs. La comparaison est inévitable, puisque l'on est dans les deux cas dans un huis clos entre bandits. Mais justement, ce n'est pas à ce niveau, que le rapprochement m'a semblé le plus frappant.


Ce sont précisément ces scènes de Reservoir Dogs, déconnectées du huis clos principal de l'entrepôt, et se déroulant en flash back, qui sont revisitées dans Hateful Eight. Lorsque le personnage de Tim Roth préparait méticuleusement son rôle de taupe, répétait son jeu d'acteur, dans des scènes assez inédites, tant elles tranchaient avec le reste du film, que ce soit dans le ton, le rythme et l'ambiance.
Hateful Eight reprend cette idée de la répétition préalable avant la tempête, du conditionnement pour mentir, bref du travail d'acteur, et recrée cette mise en abîme formidable, qui permet de voir des personnages jouer des acteurs qui répètent, afin de préparer leurs futures manipulations, causes inévitables de morts bien sanglantes.


En terme de référence, les correspondances avec "The Thing" de Carpenter, sont évidentes. Je ne savais pas du tout que Morricone avait déterré des musiques abandonnées du film de Carpenter, mais dès qu'on entend les premières notes, c'est impossible de s'y tromper. On voit la neige, le Blizzard, les baraquements isolés, Kurt Russell. Oui, The Thing est là.
Mais au-delà de l'ambiance et des décors, en retirant tout ce qui renvoie à la science fiction, on est aussi pleinement dans the Thing.
Toute la logique d'Hateful Eight tourne autour de la recherche de la véritable identité des personnages, du jeu de mensonges et de faux semblants, un/des monstre(s) se cache(nt) dans la bande. Les dialogues deviennent vitaux pour créer une paranoïa redoutablement efficace (là où justement The Thing échouait à mon sens, en raison de dialogues et de personnages assez pauvres).



Les raisons de la colère



En lisant la critique américaine, on voit déjà que le film fait grincer pas mal de dents.
Disons, que Tarantino n'est jamais allé aussi loin dans le nihilisme et la noirceur, on est clairement dans du Peckinpah bien hardcore.
Les personnages sont tous bien pourris, racistes (des noirs ou des blancs), fachos, atroces, sadiques, immoraux...
Il y a des outrances impardonnables pour un public féministe, le seul rôle féminin prend tellement cher, et tellement plein la gueule (au sens propre), que ça va nécessairement mettre mal à l'aise. Moi, ça m'a essentiellement fait rire, parce que bon, au moins le positionnement du film est réglo dans ses exagérations, pas de traitement de faveur, homme/femme noir/blanc, tout le monde en bave, et personne ne mérite d'absolution.


La noirceur absolue est atteinte dans une fin de métrage d'un pessimisme vertigineux sur l'humanité. Finalement la seule solidarité qui finit par être trouvée : c'est une solidarité dans la haine. La seule façon de réussir à s'entendre et de collaborer, c'est de haïr et de massacrer un ennemi commun pour oublier ses différends.
Ces gens ne sont pas hateful pour rien...


Film passionnant donc, et le retour d'un Tarantino en grande forme, enfin, après tant d'années d'errance ! Joie !

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le 25 déc. 2015

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KingRabbit

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