Edit : publiée à l'origine en 2015, cette critique correspond à mon avis de l'époque c'est-à-dire à une note de 4/10. Je l'ai revu une seconde fois en 2020, et depuis ma note est passée à 7. Je laisse malgré tout ma critique en ligne.


Pour tout dire, j'allais confiant à ma séance des 8 Salopards à mon ugc du coin. Je voulais le voir en 70mm, mais comme SND a décidé de laisser l'exclusivité à Gaumont et que j'ai une carte ugc, eh bien tant pis. Tarantino, de base, je suis assez fan. J'adore Pulp Fiction, j'ai même beaucoup aimé Inglorious Basterds et assez Django. Boulevard de la mort un peu moins, mais pourtant je l'ai encore préféré à ce fameux huitième film annoncé avec la modestie qu'on connaît au réalisateur. Tout simplement parce que celui-ci, malgré son blabla inutile, variait constamment son rythme, jouait avec les attentes du spectateur.


En tout cas, s'il y a bien une chose que l'on ne pourra pas reprocher à Tarantino, c'est le relatif renouvellement de son style avec ce film. On pourrait penser que c'est fort de café d'appeler renouveau un film qui ne fait finalement que parler et faire exploser la violence, comme dans à peu près tout ses films. Sauf qu'ici, il est indéniable que son ton est plus sérieux, plus thriller, presque trop au premier degré parfois. Il n'est pas étonnant d'ailleurs qu'il ai fait appel à Ennio Morricone pour ce film, sa très belle partition donnant un côté très solennel à l'ensemble.


Non, ce renouvellement n'est en soi pas dérangeant, c'est même une prise de risque intéressante après coup. Le problème c'est qu'en faisant cela, en glissant vers le western-thriller en huis-clos très noir, Tarantino perd ce qui faisait tout la saveur de son cinéma de mon point de vue. Il a toujours été un cinéaste du dialogue, un professionnel de la futilité pop, une futilité qui critiquait en quelques sortes la société à travers ses personnages. Finalement, on est passé de dialogues profonds par leur futilité à des dialogues futiles par leur profondeur en apparence. Contrairement à ses deux précédents films où l'Histoire était revisitée avec malice et sans aucun respect de leur véracité afin de mieux la dynamiter, ici on a constamment l'impression que les dialogues servent un propos, une dénonciation du racisme, de l'auto-justice et de la violence à travers le contexte post-guerre de Sécession. C'est quasiment l'hôpital qui se fout de la charité en fait.


Où est passé son sens de la séquence musicale et de l'ironie comme la scène du découpage d'oreille dans Reservoir Dogs ? L'absurde décomplexé quand Travolta bute un mec à l'arrière de sa voiture sans faire exprès dans Pulp Fiction ? Dans The Hateful Eight, Tarantino laisse son ironie délicieuse de côté et glisse dans le mauvais goût sans saveur. Peut-être est-ce moi qui devient vieux jeu, mais qu'y a-t-il de franchement drôle à voir une femme se faire dégommer la gueule et chaque personnage s'insulter mutuellement ? Ou même de voir des têtes se faire exploser en gros plan ?


Du coup, sur une première heure et demie interminable, Tarantino développe son récit et ses personnages tranquillement, en les faisant dialoguer à répétition sans éclat d'abord à l'intérieur d'une diligence (assurément la partie la plus longue du film), puis dans le chalet qui servira de décor au reste du film. Certain de rendre heureux ses spectateurs avec ses dialogues badass, Tarantino en oublie de varier son rythme et son développement narratif affreusement linéaire. C'est bien beau de faire des chapitres, mais on ne peut pas dire que leur découpage soit particulièrement savoureux.


Et même une fois à l'intérieur du chalet, malgré le découpage toujours impeccable et la lumière particulièrement belle, quel échec d'exploitation du lieu ! Tarantino possède huit personnages, un lieu bien construit et des relations conflictuelles, mais n'en fait quasiment rien. Chaque personnage forme un duo avec un autre, qui varient mais jamais ne s'entrecroisent. Le cinéaste passe d'un duo à l'autre en masquant les autres personnages à chaque fois, pourtant bien présents à moins de dix mètres. Parfois même, on les voit parler au fond du cadre, sans les entendre. Ce lieu aurait pourtant pu donner un joyeux bordel, mais non, il préfère revenir en arrière en utilisant une voix-off sortie de nulle part pour enfin dynamiser son récit (artificiellement, mais j'étais quand même très content d'arriver enfin à quelque chose au bout d'une heure et demie). Et ne parlons pas des personnages, qui si certains sont réussis (celui de Jackson et de Goggins), sont la plupart unilatéraux et interprétés avec un cabotinage insupportable (Michael Madsen roule des mécaniques et Tim Roth fait du pur Christoph Waltz).


Puis vient la boucherie tant attendue, l'étau se resserre, les conflits explosent. Et pourtant, encore là, je reste sur ma faim. Peut-être est-ce parce que je ne suis pas sensible au mauvais goût gore assumé d'Evil Dead (que j'ai détesté, en fait), ou peut-être que parce que cela manque encore de la folie tarantinesque qui me séduit tant généralement. La cruauté autrement jouissive car cathartique ne devient plus que cruauté tout court, au point que j'en étais presque mal à l'aise.


On n'arrête pas de me dire que Les 8 Salopards est drôle, qu'il alterne avec brio violence premier degré et humour noir, mais à vrai dire que j'ai quasiment pas ri du film. Je n'ai non plus jubilé à aucun moment, la faute à une absence totale de grandiloquence, de puissance du cinéma. L'histoire au final n'est jamais transcendée, comme si Tarantino était pour la première fois trop collé à son récit, trop soucieux.


C'est pour ça que les quelques ralentis vers la fin ont été un véritablement vent de fraîcheur lors de ma séance, absolument pas dérangeants car apportant enfin une ironie un peu idiote, légère. Pour la première fois pendant le film, j'ai éclaté de rire et pourtant je n'y croyais plus. Cela reste du mauvais goût, mais j'aime le mauvais goût. Quand il est ricaneur, ironique, généreux. Pas quand il est à la fois grotesque et très sérieux.


Tarantino, c'est bien d'essayer de te renouveler. Mais s'il-te-plaît, prend la chose moins au sérieux, revient à ton amour viscéral pour tes personnages, tes situations sans queues ni têtes et tes déconstructions narratives intelligentes. Ton évolution de style pertinente ne se trouve pas ici, à mon avis.

Créée

le 9 janv. 2016

Critique lue 8.3K fois

129 j'aime

22 commentaires

Antofisherb

Écrit par

Critique lue 8.3K fois

129
22

D'autres avis sur Les 8 Salopards

Les 8 Salopards
KingRabbit
8

Peckinpah Hardcore

Le film va diviser... Encore plus que d'habitude pour du Tarantino, mais sur le plan moral essentiellement, là où les précédents Tarantino décevaient également sur la forme, avec des films...

le 25 déc. 2015

259 j'aime

26

Les 8 Salopards
Sergent_Pepper
7

8 hommes en polaires

On pourrait gloser des heures sur chaque nouvel opus de Tarantino, attendu comme le messie par les uns, avec les crocs par les autres. On pourrait aussi simplement dire qu’il fait des bons films, et...

le 9 janv. 2016

206 j'aime

31

Les 8 Salopards
Velvetman
8

Oh, you believe in Jesus now, huh, bitch? Good, 'cause you gonna meet him!

Crucifiée, les yeux tournés vers une terre enneigée, une statue christique enclavée au sol observe de loin cette Amérique qui subit les cicatrisations cathartiques du clivage des contrées du Nord...

le 6 janv. 2016

143 j'aime

20

Du même critique

Les 8 Salopards
Antofisherb
7

Red Rock Redemption

Edit : publiée à l'origine en 2015, cette critique correspond à mon avis de l'époque c'est-à-dire à une note de 4/10. Je l'ai revu une seconde fois en 2020, et depuis ma note est passée à 7. Je...

le 9 janv. 2016

129 j'aime

22

Victoria
Antofisherb
8

A bout de vie

Mon amour du plan-séquence ne date pas d'hier. Souvent virtuose, toujours impressionnant, c'est parmi ce que je trouve de plus beau au cinéma, par sa technique démonstrative certes mais surtout pour...

le 3 juil. 2015

79 j'aime

15

The Square
Antofisherb
8

Pour une défense de la Palme d'Or

Dimanche dernier, la prestigieuse Palme d’Or du Festival de Cannes a été délivrée à The Square, du suédois Ruben Östlund. Un film adoré par les uns et conspué par les autres, comme rarement une Palme...

le 30 mai 2017

64 j'aime

10