On n’invente pas grand chose lorsqu’on rappelle que Sergio Leone fait partie des références ultimes de Quentin Tarantino. Django Unchained en était peut être un des plus modernisés représentants de l’influence du réalisateur italien. The Hateful Eight est-il du même acabit ?


Pour le huitième film de Tarantino, le petit Quentin ne s’est pas privé et a calé 8 Salopards, huit « détestables » si l’on se fie au titre original, The Hateful 8. Si on pousse le symbolisme, le chiffre huit a une sacrée gueule d’infini. De boucle. Qui dit boucle, dit retour aux sources. C’est peu dire si cette analogie bancale, aux premiers abords, finit par trouver toute sa signification durant les 3 heures de bobine.


Le dernier terme n’est pas non plus choisi au hasard. La police d’écriture brûlante et éternelle so blaxploitation de Tarantino tranche avec les plans froids et bleus du Wisconsin sous la neige. Le format Panavision 2.76 promet une largeur sans précédent, digne des Ben Hur. Sauf que là encore, le sable est remplacé par la poudreuse. La doudoune ne fait toutefois pas le moine : Les 8 Salopards est bien un western.


Quarter Horses With Cheese


« La Patience est de mise ». La phrase n’est même pas inventée, elle est prononcée par un des personnages du film. Elle est propre au long-métrage, surtout au constat de sa durée. Quasiment chapitré comme une série télévisée, Les 8 Salopards prend son temps. Presque trop. Alors que les bande-annonces nous vendent du huit clos de chalet, nous voilà engagés dans 45 minutes de carrosse, la tempête aux trousses.


Au cours de ce tumultueux voyage, les protagonistes se rencontrent, échangent, définissent leur raison d’être et leurs personnalités. Le lot de n’importe quel film, dira l’observateur, à raison. Sauf que ce dialogue en bagnole, de la veine de ceux qui ont rendu Tarantino légendaire de Pulp Fiction à Jackie Brown, est étonnamment brouillon et grossier dans son utilitarisme. Un comble quand on sait la qualité d’écriture de son auteur.


Puisqu’on a toujours besoin de lui, l’Oncle Samuel L. Jackson prend les rennes du métrage avec son rôle de chasseur de prime sans détour, le major Marquis Warren. En face de lui, John Ruth (Kurt Russell) préfère se compliquer la tâche à ramener ses cibles vivantes pour leur faire goûter la potence. En l’occurrence, c’est Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh, courageuse) qui s’en prendra plein la gueule tout le film, pour un crime longtemps inconnu. Ils sont rejoints enfin par Chris Mannix (Walton Goggins), un fils de commandant sudiste supposé être le shérif perdu de leur destination.


S’il se révélera avec le recul justifiable, ce premier tiers est particulièrement secouant et désagréable lors de sa première expérience, à l’image comme à l’écoute. Comme pour mieux faire preuve d’empathie avec nos quatre malheureux voyageurs, c’est avec bonheur qu’on atterrit enfin au Millie’s Haberdashery, un refuge exutoire. Un point de destination qui prend en réalité la tournure d’un démarrage tardif mais explosif.


Cluedo Dogs


Le petit enclos de Millie, soumis au bruit constant du vent et du bois qui craque, ne représente pas la sûreté espérée. La Millie en question et son Sweet Dave sont étrangement absents, remplacés par un mexicain louche, Bob (Demian Bichir). Trois autres pensionnaires regardent les nouveaux arrivants avec défiance. Un vieux général confédéré, Sandy Smithers (Bruce Dern), un cow-boy solitaire qui entame ses cacahuètes dans un coin sombre (Michael Madsen) et un exubérant bourreau anglais, Oswaldo Mobray (Tim Roth).


Rapidement, les politesses d’usage se muent en méfiance. Daisy Domergue a un sacré prix sur sa tête : 10 000 dollars. De quoi en faire fantasmer plus d’un dans cette Amérique des crevards. La partie se mue progressivement en Cluedo, avec Domergue dans le rôle d’un docteur Lenoir aussi démoniaque que souffre-douleur. Ce n’est plus dans le hangar de Reservoir Dogs que se joue les suspicions mais bien dans cet ersatz de tribunal où tous se nomment à la fois juges, jurés et bourreaux.


A mesure que les suspects sont pointés du revolver, les sentences tombent. Elles sont irrévocables et soudaines. Elle est là, la clef des ces huit salopards. Comme un pied de nez à Tuco dans Le Bon, La Brute et le Truand, on parle beaucoup ET on se flingue à la fin. Les têtes tombent progressivement. Personne n’est à l’abri, à l’image des personnages de Game Of Thrones. Finalement, grâce à un habile tour de passe-passe narratif, le rythme ne perd jamais en intensité et le film paraît paradoxalement de moins en moins long à mesure qu’il creuse smon minutage. Jusqu’à se terminer tranquillement quand il le faut, au bon moment, au bon plan.


Sûrement moins exubérant que ses précédentes productions, Tarantino livre avec Les 8 Salopards un film évidemment référencé, mais cette fois autant envers lui même qu'envers ses idoles de toujours. Parfois mou, parfois subitement éclatant, constant dans l'image et l'écriture, Les 8 Salopards fera encore couler pas mal d'encre sur la vision de l'Amérique de son auteur et de certaines de ses communautés. Qu'importe : Tarantino est et sera toujours le plus grand défenseur de ses convictions, à grandes gicles d’hémoglobine.


[A LIRE SUR HYPE SOUL]

Hype_Soul
7
Écrit par

Créée

le 7 janv. 2016

Critique lue 343 fois

3 j'aime

Hype_Soul

Écrit par

Critique lue 343 fois

3

D'autres avis sur Les 8 Salopards

Les 8 Salopards
KingRabbit
8

Peckinpah Hardcore

Le film va diviser... Encore plus que d'habitude pour du Tarantino, mais sur le plan moral essentiellement, là où les précédents Tarantino décevaient également sur la forme, avec des films...

le 25 déc. 2015

259 j'aime

26

Les 8 Salopards
Sergent_Pepper
7

8 hommes en polaires

On pourrait gloser des heures sur chaque nouvel opus de Tarantino, attendu comme le messie par les uns, avec les crocs par les autres. On pourrait aussi simplement dire qu’il fait des bons films, et...

le 9 janv. 2016

206 j'aime

31

Les 8 Salopards
Velvetman
8

Oh, you believe in Jesus now, huh, bitch? Good, 'cause you gonna meet him!

Crucifiée, les yeux tournés vers une terre enneigée, une statue christique enclavée au sol observe de loin cette Amérique qui subit les cicatrisations cathartiques du clivage des contrées du Nord...

le 6 janv. 2016

143 j'aime

20

Du même critique

La Tour 2 contrôle infernale
Hype_Soul
7

La lourdeur de ces vannes

15 ans. Il aura fallu 15 ans pour que le légendaire, le mythique La Tour Montparnasse Infernale connaisse sa suite sur grand écran. 15, soit deux fois l’âge mental cumulé des personnages créés par...

le 15 janv. 2016

27 j'aime

1

Captain America : Civil War
Hype_Soul
2

Il a quatre (vingts) laquais

Après Batman VS Superman, d'autres héros se foutent sur la gueule : ceux de Marvel. En fine bête vulgaire qu'elle est, la maison de Stan Lee dégomme tout au centuple. Résultat ? Rien. L'univers...

le 14 avr. 2016

25 j'aime

16

The Life of Pablo
Hype_Soul
5

Name one genius that ain’t crazy

Voilà maintenant plusieurs mois que Kanye West nous fait tourner en bourrique avec son dernier album. D’abord So Help Me God, puis Waves, ensuite Swish jusqu’à ce que The Life Of Pablo soit la...

le 15 févr. 2016

23 j'aime

1