Prendre le temps, on dit ça souvent, et Tarantino, en auteur aujourd’hui sanctifié par le public et consacré par les critiques, ne se fait pas prier pour le prendre, son temps : ses trois derniers films, boulonnés à l’Histoire (la Seconde Guerre mondiale, l’esclavagisme, l’après-guerre de Sécession), dépassent tranquillement les deux heures et demi. C’est sûr, ça fait plus sérieux, plus respectable, ça en impose, forcément. Donc le temps, dans Les huit salopards, il le prend, et nous on le voit passer, tu le sens bien ? Le temps il est long, il est très long, il est très très long, surtout dans cette première heure et demi interminable où la mise en place des personnages et des (maigres) intentions se transforme en purgatoire verbeux sans inspiration.


Tarantino palabre plus que nécessaire, comme incapable de maîtriser sa frénésie d’écriture, tendance vomi, brodant une introduction qui se perd en broutilles, en suffisance et en travers. Pour des zozos bouseux et une intrigue décharnée, fallait-il donc s’éterniser de la sorte ? Fallait-il donc céder à l’arrogance de la rallonge qui n’apporte aucun réel enjeux à cette foire Grand-Guignol, sinon le simple déplacement (en diligence) d’un point A vers un point B étiré à son maximum, puis l’exposition de ce point B (la mercerie) jusqu’à son implosion ? Il faut attendre que le café soit resservi, en milieu de parcours, pour qu’enfin les choses sérieuses commencent puis dégénèrent, salement. Certes, faut aimer les bouts de cervelles qui voltigent et les geysers de sang qui geysèrent, mais ce déferlement de nihilisme et de gore a quelque chose de jouissif, de complètement amoral et qui résonne comme une "récompense" après tant de vaines tergiversations. Après les mots, le carnage. Ou plutôt sous les congères, la boucherie.


"Rien n’est vrai, tout est permis", a écrit Hassan-i-Sabbâh, et tout ici ne sera que mensonges, altérités, trompe-l’œil, coups fourrés et apparences. Les personnages ne sont pas ceux que l’on croit, on écrit de fausses lettres, on prend l’accent anglais, on raconte des bobards, il y en a même un qui se cache sous la scène (structure théâtrale oblige) et apparaîtra à la façon d’un deus ex machina de pacotille. Cette espèce de Cluedo anecdotique mâtiné d’un whodunit dans le blizzard, où nigger attitude, racisme indécrottable et féminisme piétiné ont la peau dure, semble convoquer les fantômes des œuvres précédentes de Tarantino, incarnés par ces acteurs qui ont traversé ses films dans des rôles plus qu’emblématiques (Mr Orange, Jules Winnfield, Stuntman Mike…) et qui s’entretuent là dans une grande partouze commémorative, le sourire aux lèvres et le stetson soyeux.


Tarantino ne cherche même plus à faire référence, s’auto-citer lui suffit désormais : huis clos sanglant à la Reservoir dogs en mode western à la Django unchained et découpé en plusieurs chapitres à la Kill bill, revenant en arrière comme dans Pulp fiction et prolixe à mort comme dans Inglorious basterds. Bam, le tour est joué. Plus un gros gros soupçon de film d’horreur qui ne dirait pas son nom, remake masqué de The thing de John Carpenter avec grandes étendues neigeuses, Kurt Russell et Ennio Morricone au casting, des chairs qui explosent, de l’hémoglobine qui ruisselle et les deux derniers survivants du massacre qui vont crever à petit feu. C’est beau, c’est de l’hommage madame.


Son cinéma paraît ici se ratatiner, presque régresser (après la réussite de Django, revenir à la médiocrité de Boulevard de la mort et d’Inglourious basterds, c’est moche) et tourner en rond en disposant des mêmes gimmicks qui ont fait sa réputation, et aujourd’hui considérés comme des clichés dans n’importe quel autre navet qui les utiliserait : violence décomplexée, dialogues abondants, surprises chocs, ruptures de tons… Les huit salopards se résumerait presque à une longue mise à mort qui n’amène à rien, sinon la vision d’un corps pendu à une corde (quand le film commençait par un corps crucifié) comme seule finalité à tout ça et se balançant gentiment dans le vide, le vide d’un cinéma qui se recycle sans plus vraiment se réinventer. Déception. Rideau. Comme dit le dicton, "Enfer blanc, écran noir".


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mymp
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le 8 janv. 2016

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