Le virage dans lequel s'est engagé Tarantino pour ce film est non seulement très surprenant, mais également, dès les premiers plans, très intéressant. Le film est alimenté par une angoisse et un amas de ressentiments qui ne cessent de grandir à mesure que les personnages se dévorent les uns et les autres, jusqu'au paroxysme, lors d'une scène de pendaison où la suffocation physique du spectateur est surplombée par les enjeux moraux que le film nous expose cruellement.
The 8 full Eight est un tournant dans ce sens où d'un coup, la violence jouissive d'un massacre de 100 hommes dans un cinéma ou bien dans une salle de concert perd toute résonance et où l'on est confronté à la réalité du génocide que Tarantino a toujours filmé sous tous ses aspects et ses distances. C'est un film foutrement réaliste et sérieux dans une filmographie qui ne l'est pas vraiment, c'est habité par un malaise terrifiant, qui surgit dès les premiers plans. Le début, avec ce crucifix dans le bord cadre gauche, cette diligence au fond qui cavale vers nous, la musique spécialement composée pour le film - là aussi, un certain tournant -, tout est glaçant, terrifiant, somptueusement effroyable. Et je comprend tout à fait les gens qui n'ont pas supporté de voir des personnes se zigouiller lentement dans un microcosme des USA ballotté par un blizzard très évocateur et théâtrale. Mais en rester à cette haine farouche revient à ignorer tout bonnement pourquoi le film est aussi essentiel dans la carrière d'un cinéaste - que je j'aime pas plus que ça - que dans l'histoire d'un pays - qui m'apparaît soudain sous un visage pertinent - que dans l'histoire cinématographique contemporaine - j'y reviens.


Comme au début d'un monde en construction, les âmes se heurtent dans leurs différences les plus primaires et cherchent à coexister pour ce qui est sans doute leur dernières parcelles de quiétude, tout la partie dans la diligence est très bavarde et aborde les codes du western avec une sorte d'aisance assez incroyable, jamais le film ne semble prétendre faire un western, jamais il ne semble vouloir simplement le réactualiser, il en est un, il s'en amuse un peu - mais pas trop - comme par exemple cette scène géniale où les chevaux ont droit à leur minute de gloire.
C'est aussi une façon d'introduire deux personnages que l'on aura tôt fait de voir en martyr (la femme) ou en juge salvateur (le black).


Dans la suite du film, il y a une gestion très astucieuse du rythme, des diversions, des jeux de regard et de déplacements. En fait, tout le côté théâtralisé du film m'est très agréable, il est poussé à son extrême et pourtant c'est on ne peut plus intelligent - puisque la mise en scène est bien inhérente au film comme à son sujet ici. Tous les acteurs sont globalement bons, il semble que les figures éternelles de la (petite) filmo de Tarantino se retrouvent ad nauséam, mais ça ce n'est clairement pas nouveau, il semble aussi qu'il use de son petit air malin pour pointer du doigt des détails pour entretenir un certain suspens, c'est loin d'être nouveau.
Par contre, il utilise ce faux suspens fixé de détails et de fioritures (un bombons ente deux lattes) comme un voile mystérieux qui se lèveraient sur une scène de crime. Vers le milieu du film, il y aune sorte de transformation de toutes ces petites choses qu'on nous a montré en une enquête très Agatha Christie où chacun ment un peut et conserve de ce fait les intérêts du ou des coupables.
D'autre part, les figures auxquelles nous avons été habitués depuis le départ, révèlent toutes - vraiment toutes - leurs côtés les plus effroyables et violents. Si je suis contre les nihilistes en ordre général, la défiance ultime que le film oppose à toute idée de réconciliation avec l'histoire et l'Histoire me paraît essentielle. Le film est dense, on peut plus fouillé et organisé dans la lente révélation de ce qui a été le commencement d'une tentative de coalition. A cette époque où l'on faisait la chasse aux noirs, où les confréries indépendantes étaient légions... Yankee, Sudistes... et là justement tout ce monde, vraiment tout le monde, en prend plein la figure d'une élégante façon. C'est un déchaînement sourd, aveugle, avec finalement moins de violence gratuite que dans ses autres films, chaque balle est au contraire amplifiée à sa manière, comme il y a peu de personnages, la moindre étincelle prend des allures bien plus dramatiques, et tous, vraiment tous, deviennent des acteurs d'un macabre jeu de pouvoir par les mots. Il faut voir aussi comment Tarantino ralentit parfois certains plans pour capter d'une astucieuse façon les mimiques réjouissantes des hommes en train de se tirer dessus, d'agoniser sous leur hypocrisie, ou encore de mourir.
Donc oui, c'est bavard, mais c'est aussi diablement bien mis en scène, et il y a quelque chose que je n'ai pas beaucoup lu et qui m'a beaucoup secoué pendant le film :
Au sujet de la musique, Morricone a fait un travail incroyable pour cette BO, dès les premières notes on y est, c'est un film d'horreur, le thème principal à fond les ballons, avec son côté répétitif et inéluctable, que c'est fort ! Par la suite, la partition mêlée à des chansons parfois un peu hors registre font le boulot, et il y a un climat très réussi qui en ressort. De ce côté, le film est réussi. A la fois suffocant et parfaitement piégeur dans sa manière de relâcher la tension pendant de brefs instants.

Au sujet de l'imagerie globale, du paysagiste que Tarantino est parfois et ici particulièrement, alors oui, il y a un côté rétro là-dedans (que la petite entracte ne fait qu'amplifier), mais cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas vu d'aussi beaux paysages ! Dans un équilibre parfait entre le côté artificiel des cadrages et la puissance de cette montagne qui annihile tout. Le 70mm déforme un peu les distances et rend une profondeur incroyable - vraiment - aux plans larges, la neige est sublime, c'est de la vraie, elle tombe, on sent chaque flocon, le sang aussi est magnifique, les personnages sont d'une beauté électrisante, surtout Jennifer Jason Leigh et Samuel L.Jackson. D'ailleurs ces deux persos sont superbes, l'une toujours la gueule couverte de bleus ou de tripes, l'autre malaxant avec habilité le spectateur entre admiration et répulsion. L'ambivalence de ces figures est un des grands moteurs narratifs du film. A ce titre, le récit de Samuel dans la neige avec le fils du vieux colonel est un pur moment d'anthologie, entre effroi et joie réparatrice. Ce film donne envie de revoir tous western des années 40 et les films gores des années 70.


Bref, mais malgré ce déluge de bonnes choses - parce que je tenais à souligner certains bons points - le film n'est pas du tout étranger aux défauts. Ces défauts sont surtout issus de choix scénaristiques
Par exemple je n'aime pas
- le flashback explicatif , qui n'apporte presque rien sinon des confirmations de détails vus ou racontés auparavant (maintenant on a bien vu que la tenancière fait elle-même la bouffe)
- le personnage de Tim Roth qui essaie de cabotiner et de jouer le dandy taquin mais l'alchimie ne prend pas, il n'est pas aussi bon que Waltz à ce jeu là malheureusement.
- le fait que l'on brise le titre du film avec l'intrusion d'un nouveau personnage, c'est idiot et au final ce la ne change pas grand chose.
- la voix off (de Quentin Himself), il y en a très peu, et le peu est inutile, donc pourquoi ne pas la retirer tout simplement ?


La fin du film est excellente, d'une noirceur extrême malgré la réunion des deux derniers personnages. C'est simple et enlevé. Ce n'est pas le genre de film qui se revoit sur petit écran, mais qui sait...

Narval
8
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le 7 mai 2016

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