On a toujours fait de Tarantino le cinéphile expert par excellence, du simple employé de vidéo-club s'abîmant les yeux sur de vieilles cassettes au réalisateur génial et excentrique que l'on connait. Si l'on a pu reprocher à Tarantino de confondre hommage et plagiat, sa culture cinématographique et son travail méticuleux du scénario font pourtant de lui un des plus grands réalisateurs de cinéma de notre époque.
The Hateful Eight, huis-clos enneigé dans le Wyoming du 19ème siècle, est la longue montée d'une tension dramatique qui conduira, comme c'est souvent le cas chez Quentin Tarantino, à une explosion de violence véritablement machiavélique au sens politique du terme. Si ce n'est pas tant la onquête de l'ouest qui est au centre, c'est le désir de chaque personnage d'assurer jusqu'au bout la mission qu'il s'est confié, ceci sans compter, on s'en doute, sur le hasard qui réunira d'abord divers passagers dans la diligence puis dans la mercerie de Minnie. Tous plus odieux les uns que les autres, chaque personnages offre pourtant un regard éclairant sur la société américaine dont les excès et le moralisme se drapent souvent dans des discours pompeux sur la grandeur supposée d'une Amérique minée par les conflits raciaux. Cependant, si le film donne en surface à voir des archétypes (le noir, la femme, le colon, l'étranger, etc.), l'histoire personnelle et la psychologie des personnages transpercent assez l'écran pour ne jamais tomber dans le cliché mais réalise bien plutôt un portrait et une chronique de l'Amérique.
Au fond, le tour de force réalisé par Tarantino c'est d'avoir accordé un soin extrême à son scénario et à ses dialogues, d'abord écrits sous la forme d'un roman avant d'évoluer vers une adaptation cinématographique, pour ensuite laisser la musicalité théâtrale de sa mise en scène ressortir par le jeu de ses acteurs. En effet, la caméra de The Hateful Eight s'attarde assez sur ses acteurs pour leur laisser le temps de remplir l'espace, de le traverser et de dérouler leurs dialogues d'une façon on ne peut plus jouissive et grinçante. Difficile, en effet, de ne pas sentir à l'écran le plaisir éprouvé par les comédiens eux-mêmes, notamment Samuel L. Jackson (Warren Marquis) et Walton Goggins (Chris Mannix), duo magnifique de bout en bout et pourtant viciés jusqu'à l'os, symboles d'une association forcée entre l'Amérique blanche et l'Amérique noire réconciliée grâce au Grand Emancipateur (Abraham Lincoln).
Ainsi, The Hateful Eight éprouve physiquement ses personnages et ses spectateurs durant près de 3h de spectacle, les premiers parce que forcés de cohabiter parmi leurs ennemis dans un espace réduit et encerclé par le blizzard, les seconds parce que le dispositif même du film et la volonté de Tarantino de ne jamais céder à la facilité avec son scénario forcent à ressentir le défilement du temps et la tension progressive montant entre les personnages. C'est pourquoi il est indispensable, bien que difficile, de visionner The Hateful Eight dans les conditions prévues par son réalisateur.
Tourné en Ultra Panavision 70 (c'est à dire filmé avec un objectif 70 mm avec une pellicule de 65 mm pour une exploitation en 70mm), le film bénéficie d'une image beaucoup plus généreuse et satinée auparavant réservée à de très grosses productions (Ben Hur, Khartoum) mais aujourd'hui disparu depuis 1966 à cause de sa fragilité (le son se détériore très rapidement) et de son coût. Le rendu spectaculaire est ensuite renforcé par la projection d'une ouverture musicale avant le début film et par l'utilisation d'un entracte de 12 minutes permettant à la fois de se dégourdir les jambes et d'engloutir son popcorn*. Ce dispositif rend à nouveau cinéma sa grandeur en tant que spectacle unique, déconnecté pour un temps du monde de la consommation, à une époque où l'on s'habillait de ses plus beaux vêtements pour assister à un film. Ce souhait a forcé plusieurs salles de cinéma à se rééquiper ou à ressortir un matériel de projection compatible avec le format choisi par Tarantino, réduisant ainsi le nombre de salles capables de le projeter correctement. Ainsi, la capitale ne compte qu'une seule salle de cinéma, Gaumont Marginan, répondant à ces critères.


  • l'entracte sert également à séparer deux du film assez distincts, le premier étant relativement calme tandis que le second marque un véritable déchaînement de violence et le déréglement général du plan des uns et des autres.

caesonia1
8
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le 27 mars 2016

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caesonia1

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