le 14 juillet 1789, ou comment Marie Antoinette devint une souveraine
Le destin d'une reine a cela de troublant qu'il s'écrit dans l'ombre de celui de son mari. Personnage de représentation, mère nourricière, trait d'union diplomatique entre deux pays, l'épouse du roi est souvent réduite à la passivité. On objectera que Catherine de Médicis en son temps joua un rôle déterminant et scella le destin politico-religieux d'une France meurtrie et divisée. Elle paya cependant le tribut de son utilité par de solides rancœurs historiques. En outre, elle y perdit la bataille de la féminité. «Matrone, chef de guerre, tyran », La Médicis est dans l'imaginaire collectif davantage assimilée à un monarque qu'à une souveraine.
Marie-Antoinette nous renvoie une image bien différente. Aussi fascinante qu'exaspérante, elle éclipse Louis XVI en 1789 et aux yeux de la postérité. C'est sa tête que les révolutionnaires réclament, c'est son nom qui est au centre des discussions de Cour. Elle réussit même à bouleverser la vie versaillaise, en faisant du petit trianon le centre de gravité des intrigues royales.
Dans Les Adieux à la reine, Benoît Jacquot décrit les quatre jours qui feront basculer le destin d'une femme mais surtout celui d'une reine. Fantasme vivant au yeux de sa liseuse, Marie-Antoinette écrit son histoire politique alors que la royauté trébuche. On découvre une souveraine fière, concernée, stratège, tactique. La femme du roi prend très vite conscience de la gravité de l'instant et des enjeux, davantage même que son époux qui, dans une sorte de langueur naïve, se plie sans résister aux injonctions du peuple.
La Marie Antoinette des Adieux à la reine n'est donc pas seulement regardée au travers du prisme de la mode. Si Benoît Jacquot fait d'elle l'une des instigatrices de la fashion, il lui donne davantage d'épaisseur que n'a pu le faire Sofia Coppola. La période historique n'est cependant pas la même.
La reine est avant tout une femme qu'il faut occuper. Elle est sans cesse à l'affut des nouvelles tendances, et contribue d'ailleurs à les créer. Elle a surtout besoin d'une compagnie volubile, elle qui a moins de trente ans se sent déjà vieillie, écrasée par le poids de la fonction et le deuil de deux de ses enfants. Elle semble d'ailleurs l'avoir trouvée en Gabrielle de Polignac, une jeune femme aux mœurs légères, qui a parfaitement compris la fascination qu'elle exerce sur sa souveraine. Gabrielle a la féminité naturelle et le charme léger. Elle ne se sent pas tenue par les convenances, assurée qu'elle est des faveurs de la reine. Benoît Jacquot la filme comme une mannequin qui défile sans cesse. Elle feint de ne pas savoir qu'elle est regardée. Marie Antoinette aime Gabrielle à tel point qu'elle se demande si cette affection n'est pas contre nature. Face à Gabrielle, Marie Antoinette présente déjà le visage d'une souveraine déchue. Elle vit continuellement dans l'attente de son amie, et dans la peur de ne plus la revoir. Gabrielle ne se montre malheureusement pas à la hauteur de l'affection de la reine, qu'elle accepte sans hésitation de quitter. Sa fuite comme celles de tant d'autres, est un abandon.
Benoît Jacquot illustre la débâcle qui succède à la prise de la Bastille. La Cour fuit Versailles et son roi sans état d'âme. Elle anticipe la fin d'une dynastie et avec elle, celle de ses privilèges. Paradoxalement, le petit peuple est davantage attachée à la famille royale que ne le sont les nobles courtisans. Le personnage de sa liseuse, Sidonie Laborde, en témoigne. La reine est sacrée: la servir est une faveur et la quitter un déchirement. Sa séparation d'avec sa souveraine sonne d'ailleurs pour Sidonie comme une fin de vie car elle n'en attend plus rien. Celle dont personne ne connaissait rien ne s'identifiait que comme la « liseuse de la reine ». Désormais, elle devient une anonyme, prête à endosser n'importe quel costume. L'image finale est à ce titre hautement symbolique: la villageoise porte les habits de la noblesse alors que cette dernière revêt ceux des gens de service. Mais ce stratagème a des airs de mascarades: le 14 juillet 1789 a en effet sonné la fin d'une époque.